L'architecture vernaculaire des maisons kabyles anciennes

Maison de campagne - photo libre de droits
Maison de campagne - photo libre de droits

En 2011, dans des propos rapportés par le site Kabylie Djurdjura, l'anthropologue Ali Sayad se désolait de cet état de choses : "En démolissant les anciennes maisons, on tue notre passé".

Au train où vont les choses, il ne restera plus de l'ancien habitat vernaculaire rural que le témoignage des voyageurs, instituteurs, anthropologues, sociologues, géographes, d'avant le grand mouvement de reconstruction ou de remplacement qui a gagné l'habitat montagnard.

Structures de la maison kabyle

Les toits de tuiles sont à deux versants très peu pentus. Dans ceux en terre, les versants sont remplacés par un bombement.

Dans les toits de tuiles demi-rondes, des branches d'olivier ou des roseaux sont liés aux chevrons, puis vient une couche de mortier de terre dans laquelle sont enfoncées les tuiles de courant (posées sur le dos) puis les tuiles de couvert. Pour éviter que les tuiles en saillie le long des rampants et des rives ne se soulèvent lors de coups de vent, on les leste de litanies de pierres.

Dans le cas des toits de terre, une couche de 25 à 30 cm de schiste est tassée sur une lourde armature de poutres et de rondins à peine équarris, en olivier ou en frêne, recouverte de plaques de liège. Éventuellement, des pierres sont disposées sur tout le pourtour, au niveau des parois, afin de protéger rampants et rives en saillie de l'érosion éolienne.

Dans le village d'Agouni Guehrane, au sud-ouest de la commune de Béni-Yenni les maisons ont une toiture de terre légèrement bombée et débordante (il ne s'agit pas de 'terrasses' à proprement parler) ; des pierres blanches bordent le pourtour des toits.

Les ouvertures

La maison comportait peu d’ouvertures. Quand il y en avait, elles étaient de petites dimensions pour des raisons de confort thermique et surtout d’intimité.

Il en existe plusieurs types :
- l’ouverture composée d’un encadrement en trois parties (linteau, jambages, appui), généralement haute et étroite pour mieux résister aux contraintes ; le linteau et les arrière-linteaux sont de petits rondins ;
- l’ouverture coiffée d’un arc clavé, en tuiles, en petites pierres ou en briques.

Il existe également des claustras, qui permettent une ventilation d’air et un refroidissement de la pièce par évacuation des charges thermiques concentrées dans la maison.

On observe également des trous de boulin, placés régulièrement sur le mur en pierre et ayant servi à soutenir l’échafaudage lors de sa réalisation. À la fin du chantier, ces trous étaient soit bouchés à l’intérieur par des pierres, soit laissés ouverts pour l’aération de l’espace intérieur.

Longere
Longere

Les portes

Elles sont en bois et diffèrent par leurs dimensions : elles sont grandes pour l’accès à la cour intérieure (afrag) et moins grandes pour l’entrée du logement. Elles comportent un ou deux vantaux ou battants.

Pour les petites constructions en pisé, les portes sont en bois avec un linteau et des jambages, formant ainsi le cadre de la porte – du fait d’une mauvaise adhérence entre le bois et le pisé. L’ouverture qui reçoit la porte est fragile, n'étant qu'une simple interruption dans le mur.

Les enduits et décorations

Les enduits traditionnels permettent une bonne respiration des murs en facilitant les échanges hygrométriques entre l’intérieur et l’extérieur.

Le sol était recouvert d’un enduit de gravier et de chaux que les femmes damaient avec un battoir (tamadazt) puis polissaient avec un galet, comme on le faisait pour les poteries.

Parfois, on employait un mélange d’argile, de paille et de bouse de vache.

Les revêtements muraux étaient réalisés avec de la terre mélangée à de la bouse de vache ou à de la paille. À l’intérieur seulement, on mettait de l’argile blanche ou du plâtre. On finissait parfois par un chiffon imbibé d’huile, d'eau et de terre rouge.

La décoration était l’œuvre des ménagères. Les parois étaient blanchies et se terminaient par un soubassement peint – en rouge et noir sur fond blanc – de figures géométriques du plus bel effet.

L'organisation fonctionnelle

La maison abritait les gens et les animaux sous le même toit, l’espace pour les animaux étant toutefois en contrebas de celui occupé par l’homme. L’étable (adaynine) occupait environ un tiers de la superficie totale et la partie réservée à l’homme (taqaat) occupait les deux tiers. Une soupente (taaricht) existait au-dessus de l’étable.

L’intérieur de l’habitation présentait une double division fonctionnelle bipartite :
- en longueur : le logement des gens et celui des bêtes,
- en hauteur : l’étable et la soupente superposée à cette dernière.

On peut parler également d’une division tripartite en hauteur : la salle commune et le galetas superposé à l’écurie.

Maison kabyle
Maison kabyle

La salle commune

La salle commune (taqaat) est la partie haute de la maison, celle qui était réservée aux humains. Naître, manger, dormir, procréer, mourir, étaient les activités ou les événements essentiels qui se déroulaient dans cet espace commun.

Dans cet espace dégagé, était creusé, dans le sol de terre battue, non loin de la porte d'entrée, un foyer (kanoun) d'environ 40 cm de diamètre et de 20 cm de profondeur. Autour du foyer était disposées trois grosses pierres plates destinées à servir de trépied à un récipient de cuisson. La fumée s’échappait par les interstices du toit (14) ou par la lucarne du pignon. Le foyer servait aussi à chauffer la pièce en hiver et à faire sécher les habits lavés ou mouillés.

(14) Martial Remond, 1932, Au cœur de la Kabylie, Éd. Baconnier- Hélio, Alger, p. 21.

La salle commune était aussi un espace de préparation des repas, surtout en hiver et dans la journée. Un deuxième trou, ménagé dans le sol, était destiné au moulin à bras (tisirt).

Le métier à tisser (azetta) était installé contre la partie la plus éclairée du mur du fond (tasga), face à la porte d’entrée.

La nuit, la salle commune devenait dortoir.

L'étable

Située en contrebas de la salle commune, l’étable (adaynine) était le lieu réservé au bétail (vaches, chèvres, moutons) la nuit. Sa hauteur, du sol au plafond, était d'environ 1,50 m. Le sol, légèrement en pente, était dallé. Les parois n'étaient pas crépies. Le purin s’écoulait à l’extérieur par un trou (tazoulikht) qui s’ouvrait au ras du sol dans le mur-pignon. L’étable faisait office de chauffage grâce à la chaleur dégagée par les animaux.
Il y avait une cloison basse de séparation (tadekkant) entre salle commune et étable, sauf chez les familles pauvres disposant d'une surface plus réduite. Trois ou quatre ouvertures réservées dans le mur de séparation servaient à l'alimentation des bêtes depuis le séjour.

La soupente

Située au-dessus de l’étable, la soupente (taaricht) consistait en un plancher portant sur des poutrelles scellées à un bout dans le mur-pignon et posées à l'autre bout sur le mur de séparation. Ce plancher était enduit d'un mortier à base de terre. On accédait à la soupente par un escalier très raide incorporant des niches de rangement d’ustensiles. On y déposait la paille et le foin pour les bêtes, des provisions dans des jarres en terre crue mais aussi des couvertures, des objets de valeur, des coffres. On la fermait parfois en partie avec des planches et elle devenait alors un endroit plus intime où les aînés des enfants ou les jeunes mariés pouvaient dormir la nuit.

Interieur maison
Interieur maison

Le seuil

Le seuil (amnar) est un espace à l’entrée, où se trouve un demi-cercle au sol avec un trou. Il est utilisé par les ménagères pour laver la vaisselle ainsi que pour la toilette quotidienne, surtout en hiver. Le seuil est en pente et se termine par une rigole (tazoulikht) pour l’évacuation des eaux usées.

Les niches

Les rangements sont intégrés aux parois de la maison, dégageant ainsi tout l’espace pour d’autres fonctions. On réserve, dans les murs, des niches (ikoufenes, singulier akoufi) pour y conserver les aliments : fèves, figues sèches, glands. Ces niches sont situées à hauteur d’homme afin de ranger les ustensiles, d'exposer des décorations ou de mettre des bougies.

La pièce d’appoint

La pièce d'appoint (taghorfet) est une pièce située en élévation, à usage de chambre ou, parfois, de débarras. Elle était ajoutée au-dessus de l'habitation (axxam) ou du porche (asquif) quand la famille s’agrandissait (à la suite du mariage d'un fils par exemple). On y accédait par une échelle dans la soupente ou par un escalier extérieur.

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Mis en ligne : Lundi 22 Mars 2021
 
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