L'Algérie a-t-elle un problème avec les Mozabites ?

La ville de Ghardaia en Algérie
La ville de Ghardaia en Algérie

Le Mzab est une vallée qui se situe au centre de l'Algérie, ses habitants sont donc appelés les Mozabites. La diaspora des juifs séfarades issue de l'expulsion des Juifs d'Espagne par le décret d'Alhambra (1492) entraîna leur émigration massive un peu partout en Algérie, dont la vallée du Mzab. La communauté Juive dispose ainsi à Ghardaïa d’une synagogue qui contient de très anciens manuscrits de la Bible.

La région a été peuplée par des communautés troglodytes à partir du Néolithique. On connaît assez mal ces premiers habitants. En tout, le Mzab a vu naître 25 cités aujourd'hui disparues.  Appelés en berbère At Aghlan ou At Mzab, en arabe algérien Beni-Mzab, "Fils du Mzab", sont un groupe ethnique berbère vivant principalement dans la région du Mzab. Les constructions du Mzab sont de différents styles, certains sont libyen-phéniciens, mais le plus souvent, ils sont spécifiquement berbère et ont été répliqués dans d'autres parties du Sahara.

En été, les mozabites migrent dans des "citadelles d'été", centrées autour d'oasis de palmiers. C'est l'un des groupes majeurs d'oasis du désert Saharien, bordé par des contrées arides nommées chebka, traversées par des lits de rivières asséchées.

Les confréries religieuses au Mzab sont légion

Produit de circonstances religieuses, le M'zab se présente comme une nation théocratique, où le souverain est divin. Pour éviter le libre examen où n'aurait pas manqué de conduire le rejet de toute espèce de sacerdoce, les mozabites ont confié dès les origines à des assemblées religieuses, les Djemaàs de Mosquée présidés par un Cheikh, le soin d'édicter des règles absolues tant civiles que religieuses. Les règles qui constituent la charte même de l'ibadisme ou abahdisme mozabite ont été réunies au 17ème siècle en une immense codification, Kitab El Nil*, ou Traité du Nil (voir extrait), par le savant théologien Abdelaziz Ben El Hadj Ibrahim Al Thaminy. Les Chaambas, arabophones, se rattachent au rite orthodoxe malékite. Leur piété stimulée par le contact de leurs voisins est généralement très vive.

Par ailleurs, comme tous les Maghrébins, les Chaambas ont toujours été sensibles à l'action des hommes pieux, des santons locaux ou régionaux, créateurs de confréries. C'est au 16 ème siècle que Sidi Chikh, qui passa une partie de sa vie à Metlili, fit rentrer un grand nombre de Chaamba dans les observances de sa doctrine. *Extrait : "le Pays porte cent moissons lorsqu'il est gouverné avec équité; mais il est stérilisé par l'injustice."

Photo d'archive d'un homme du Mzab
Photo d'archive d'un homme du Mzab

Revendications des Mozabites

La région du Mzab est le théâtre d'émeutes et de manifestation à grande échelle depuis au moins les années début 2000. Elle est le théâtre de tensions entre les Berbères et les Arabes. En effet, la nomination des bâtiments publics, honorant une histoire locale mozabite, est vécue par les populations arabes comme une exclusion symbolique de la mémoire régionale et est dénoncée au moyen d’émeutes. La toponymie et la mémoire orale portant sur les délimitations des propriétés collectives des tribus sont employées dans des objectifs symbolique et politique (Cherifi, 2003) et permettent, en cela, de valoriser ou de contester l’ancrage local des groupes.  Les Mozabites berbères ont même été jusqu'à construire des murs pour les séparer des autres Mozabites, différents à leurs yeux, parce qu'ils seraient Arabes donc en quelque sorte impurs !

La construction de murs autour des cimetières mozabites vise à les préserver de l’étalement des habitations informelles issues des quartiers où prédominent des populations arabes, et résultent en des heurts entre "jeunes" des différents milieux sociaux et des forces de police. La ville s’impose ainsi comme un espace de lutte pour l’ancrage des communautés et un territoire à défendre contre un processus d'"acculturation".

Les revendications mozabites dénoncent, par-là même, l’inégalité des rapports de force entre les régions du Nord et du Sud algérien. Et en effet, il faut reconnaître que les revendications des Mozabites sont souvent étouffées par l’emprisonnement des chefs et meneurs.

La maison mozabite
La maison mozabite

Les éléments revendicatifs ambivalents à l’égard de l’État, où sont alternativement mobilisées des demandes accrues d’intégration et d’autonomie régionale peuvent paraître déroutantes pour qui ne connaît pas bien cette région. En effet, une partie la plus ancienne des habitants de cette région seraient originaires d'Oman, près de l'Arabie, ce qui justifie leur exclusion culturelle aux yeux de certains. Une chose paraît claire toutefois, c'est que l'Etat favorise ceux qui se soumettent à son pouvoir. La dénonciation de l’injustice par les habitants de cette région semble incessante, y compris de nos jours.

Le 26 décembre 2013, le cimetière mozabite Sidi 'Aisa est profané et le mausolée de 'Ammi Sa'id détruit, sans que les forces de l’ordre présentes sur place n’interviennent. Des heurts entre des membres des différentes communautés, augmentant en fréquence et variant en intensité, se produirent par intermittence pendant dix-huit mois à Ghardaïa et s’étendirent sporadiquement à d’autres localités du Mzab.

Parallèlement, les autorités algériennes tentent de désamorcer ces émeutes en sollicitant la médiation des élites locales et communautaires. Dans le même temps, elles font en sorte d’augmenter les coûts de la mobilisation, en recourant à un dispositif répressif qu’elles exercent par le biais d’un renforcement de la présence policière.

Les gens inscrivent des "dégage !" sur les murs des maisons berbères, ou arabes. De leur côté, les attaques à l’encontre des personnes physiques génèrent une modification des représentations sécuritaires de la ville et concourent à une transformation des pratiques urbaines. La perception de la menace est transposée sans l'espace et le risque est interprété en fonction de la prédominance de telle ou telle communautés, des lieux. Des stratégies de contournement visant à éviter les espaces considérés comme dangereux sont adoptées par les habitants et perdurent au-delà des affrontements – que ce soit la modification des trajets quotidiens, des modalités de transport public, ou des itinéraires routiers de taxis. Ces logiques d’évitement, jointes au confinement spatial des populations lors des émeutes, engendrent un dédoublement des lieux d’approvisionnement, tels qu’en atteste la récente implantation de marchés informels, de stations-services et de puits hydrauliques qui assurent des services de proximité. La différenciation communautaire des pratiques commerçantes – par le refus d’acheter à l’Autre – témoigne d’une recomposition des rapports sociaux et d’un repli identitaire. Les pratiques quotidiennes des habitants se réorganisent ainsi autour de "stratégies de protection" (Tratjnek, 2009) qui visent à produire une distanciation avec l’Autre désormais perçu comme menaçant.

Femmes de Ghardaia
Femmes de Ghardaia

Aux affrontements intercommunautaires, qui se concrétisent par des dégradations de locaux, incendies de Quartiers Généraux, .etc. les autorités algériennes répondent d’abord par un réflexe d'acheter la paix, à travers l’octroi d’aides à la construction, ainsi que par la distribution de 30 000 terrains dans la wilaya, dont 9 000 assignés à la commune de Ghardaïa. Puis, elles tentent de minimiser les affrontements en les assimilant à de "petites altercations entre jeunes".

Elles recourent également à un registre discursif qui vise à décrédibiliser l’action protestataire. Comme il est triste de voir sur les murs de la ville – qui alternent entre Vive les Arabes et Vive le Mzab –  des dénonciations intercommunautaires qui ne servent qu'à afficher la prédominance ethnique de la population du quartier.  Alors qu'elles pourraient être solidaires pour dénoncer le fait que l'Etat oublie les communautés du Sud.

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Mis en ligne : Mardi 10 Décembre 2019
 
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