Hommage à l'émir Abdelkader à Amboise, en France

L'Emir Abdelkader au château d'Amboise
L'Emir Abdelkader au château d'Amboise

A Amboise, en France, l'hommage prévu en l'honneur de l'émir Abdelkader a été entaché par la dégradation de la sculpture présentée pour l'occasion. L'émir Abdelkader est une figure historique et l'emblème de la résistance à la colonisation de l'Algérie au XIX e siècle.

Une sculpture en hommage à l'émir Abdelkader

C'est parce que l'émir Abdelkader fut détenu, avec sa famille, dans la ville d'Amboise, une commune d'Indre-et-Loire, que les autorités françaises ont décidé de lui rendre un hommage. Son image, découpée dans une large plaque en métal, fait face au fleuve de la Loire, aux pieds du Palais royal d'Amboise.

Mais la sculpture le représentant, prévue pour l'occasion, a été vandalisée.

Une dégradation honteuse

Thierry Boutard, le maire de la ville, a expliqué que l'oeuvre d'art commémorative avait "été coupée à la meuleuse et tortillée". Une enquête pour "dégradation grave" a été ouverte. M. Boutard a aussitôt fait part de son indignation et a déclaré: "Nous sommes des résistants face à la haine. On ne va pas plier face à de la médiocrité et de la bêtise. L'oeuvre sera réparée et restera à cet endroit!".

L'ambassadeur d'Algérie en France, Mohamed Antar Daoud, a appelé au dialogue et à la compréhension. Toutefois, ils ont décidé, d'un commun accord, de maintenir l’inauguration et de ne rien changer au programme de la journée. 

Le président Emmanuel Macron a tenu également à condamner la dégradation de la sculpture commémorative: "Rappelons-nous ce qui nous unit. La République n’effacera aucune trace ni aucun nom de son histoire. Elle n’oubliera aucune de ses œuvres. Elle ne déboulonnera pas de statues".

L'émir Abdelkader est une figure historique XIXe siècle

Cette commémoration serait la concrétisation d'une des nombreuses recommandations issues du "rapport Stora" à propos des "mémoires de la colonisation et de la guerre d’Algérie". L'historien Benjamin Stora était d'ailleurs présent lors de la commémoration à Amboise et a commenté l’intérêt de cet évènement ainsi: "Une réconciliation mémorielle entre la France et l’Algérie passe par une circulation des images, des représentations réciproques, des découvertes mutuelles".

Pour le maire Thierry Boutard, il était naturel de rendre hommage au: "personnage historique auquel la ville est fortement attachée".

Ahmed Bouyerdene, historien franco-algérien, présent également en ce jour, expliquait que l'émir Abdelkader: "est une figure majeure du XIXe siècle!".

L'oeuvre d'art commémorative est signée de l'artiste Michel Audiard. Elle est inspirée d'une photographie conservée par la Bibliothèque nationale de France.

Napoléon avait décoré l'émir Abdelkader de la Légion d'honneur

Alors que cette célébration est très critiquée en France par des personnalités politiques d'extrême-droite, il est bon de rappeler que Napoléon III portait l'émir en haute estime. Abdelkader fut même décoré de la médaille de la Légion d'honneur, à une époque où cette haute distinction avait encore toute sa valeur.

Mais cela n'empêche pas le site "Fdesouche" de qualifier l’émir de "héros de la lutte contre la France". Le nouveau soutien d'Eric Zemmour, l'avocat Gilbert Collard le qualifie quant à lui "d'adversaire historique de la France". Comme souvent, il ne faut pas s'attendre à des vérités historiques lorsque les détracteurs sont à la droite de la droite. C'est dans ce terreau que l'on croise les plus grands ignorants de l'Histoire de France... Un comble pourtant, pour des nationalistes.

Napoléon III, le dernier monarque et le premier président de la République française, a, lui, libéré l'émir emprisonné en France. Il appréciait l'émir. Napoléon III lui a décerné le grand cordon de la Légion d’honneur, qu'il portera dès lors avec fierté. Pour un adversaire héroïque et historique de la France, c’est plutôt cocasse n'est-ce pas? Abdelkader n’a jamais refusé de venir en visite en France, pour, entre autres, inaugurer des expositions: il le fit en toute amitié et avec sincérité.

L'émir Abdelkader forçait le respect par ses nombreuses qualités

Abdelkader est né en 1808 près de la ville de Mascara, dans l'Ouest algérien. Issu d’une famille de chorfa (les descendants du Prophète), il reçut une bonne éducation. Il étudia toutes connaissances scientifiques disponibles à l'époque, la littérature, les mathématiques, l'histoire et la philosophie. Il apprit en outre à monter à cheval et à manier l’épée. Proclamé "commandeur des croyants" à 24 ans, le jeune homme avait uni les tribus et s’était opposé, à partir de 1832, à la conquête de son pays par la France.

Il a alterné victoires et défaites, signant deux traités de paix, dont un avec le général Bugeaud qui lui garantissait le contrôle d'une partie de l’Algérie. L'émir et ses compagnons d’armes se rendirent finalement au général Lamoricière, le 23 décembre 1847. Bugeaud ne tarit pas d'éloge à son sujet: "Abdelkader est un homme de génie... C'est un ennemi actif, intelligent et rapide, qui exerce sur les populations arabes le prestige que lui ont donné son génie et la grandeur de la cause qu'il défend."; Comprendre par là, de défendre son royaume contre une incursion étrangère.

En échange de son dépôt des armes, une promesse d’un exil en Egypte ou en Palestine lui est faite. La France ne tiendra pas sa promesse. L’émir est alors emprisonné de l’autre côté de la Méditerranée. D’abord au fort Lamalgue, à Toulon, puis au château de Pau et enfin dans celui d'Amboise. Là, sur cet éperon rocheux surplombant la Loire, l’homme vit reclus. Il s’adonne à la méditation et à la prière. Avec sa barbe et son burnous (long manteau de laine à capuchon porté par les Berbères), il intrigue, suscite commentaires et parfois méfiance. Mais la population a finalement appris à apprécier l'émir, qui entretenait une véritable amitié avec l'abbé Robion. Les deux hommes s’appréciaient et dialoguaient au sujet de la spiritualité et de la tolérance. Martine Le Coz, écrivain et connaisseuse de cette période de la vie de l'émir en France, explique que: "sa grandeur d’âme a toujours été reconnue".

Libéré en 1852 par Napoléon III, l'émir finira sa vie en Syrie, où il mourut en 1883.

Après son départ de la ville d'Amboise, une borne surmontée d’un croissant sera élevée dans le parc du château, ainsi qu’un carré de cimetière musulman, en hommage aux membres de la famille d’Abdelkader. Durant le séjour de l'émir à Amboise, 27 membres de sa suite sont mort, dont son épouse, un de ses frères, et deux de ses enfants.

L'historien Ahmed Bouyerdene évoque un "personnage multiple, figure militaire, stratège et diplomate. Un grand religieux, aussi, qui avait le charisme nécessaire pour haranguer son peuple. Et puis la figure du mystique aussi."

L'émir, une figure critiquée en Algérie

En Algérie, après l’indépendance en 1962, l'émir Abdelkader est considéré comme le héros de la résistance face aux Français, et même comme le père de la nation algérienne.

Mais des voix s'élèvent en Algérie pour critiquer ce personnage emblématique. En juin 2021, la personnalité politique algérienne Noureddine Aït-Hamouda avait qualifié de "traîtres", pêle-mêle, non sans susciter un véritable tollé, à la fois l’émir Abdelkader, l’ex-président Houari Boumediene et le dirigeant nationaliste Messali Hadj. La proximité de l'émir avec la France et les liens amicaux entre l'émir et de nombreuses personnalités françaises sont troublants pour un personnage qui est censé représenter la lutte contre la colonisation française.

Pour autant, l'émir Abdelkader reste sans conteste, de part et d'autre de la Méditerranée, un personnage qui suscite bien plus de louanges et d'admiration que de critiques.

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Mis en ligne : Samedi 5 Février 2022
 
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