Les autorités koweïtiennes ont suspendu les comptes bancaires de centaines de "Bédouins" vivant et travaillant sur le sol koweïtien mais sans nationalité attitrée. Cette restriction brutale a perturbé la vie de ces apatrides et s'ajoute à une somme de difficultés qu'ils connaissent déjà. L'action des autorités koweïtiennes a provoqué une vague de colère et d'indignation, notamment sur les réseaux sociaux. Certains observateurs ont décrit cette situation comme un nouvel apartheid à l'encontre des Bédouins vivant au Koweït.
La souffrance des Bédouins au Koweït
Le média "Reuters" a interviewé Ahmed Al-Enezi, un jeune de 26 ans qui appartient lui-même à une tribu de Bédouins. Sa communauté regroupe des personnes qui ne disposent d'aucune nationalité, ils sont apatrides et l'Etat du Koweït semble vouloir leur rendre la vie toujours plus difficile.
Ahmed explique qu'il a dû se battre avec l'administration durant les 14 derniers mois dans un dédale bureaucratique après la suspension de son compte bancaire. Il n'a, depuis, plus accès à ses économies et à son salaire alors que comme tout le monde, il doit faire face à la pandémie de coronavirus. Sa situation est donc particulièrement difficile à vivre. Il estime que lui et les siens vivent un nouveau chapitre dans la violation continue des droits humains fondamentaux. Ahmad Al-Enezi et sa famille font partie des dizaines de milliers d'Arabes apatrides qui réclament sans succès, depuis des décennies, la citoyenneté koweïtienne.
Le Koweït offre à ses citoyens un système de protection sociale généreuse, du berceau à la tombe. Mais ces Bédouins considérés comme des immigrés illégaux ne bénéficient pas du système de protection que le Koweït offre à ses citoyens. Pour l'Etat du Koweït, ces personnes seraient venues illégalement sur leur sol et ils ont décidé de durcir les sanctions à leur encontre, très certainement dans le but non avoué de les écœurer et de les faire partir du territoire.
Pressions sur la communauté bédouine au Koweït
Les autorités koweïtiennes ont donc encore plus intensifié leurs pressions sur la communauté bédouine avec cette restriction bancaire. Mais ces pressions ont débuté il y a plusieurs années: officiellement pour que les Bédouins "divulguent leurs pays d'origine".
Ces pressions coïncident avec la situation difficile à laquelle le pays est confronté. Le Koweït connait une situation économique difficile, ce qui réduit forcément son budget public. La situation économique est dégradée car les baisses récentes du prix du pétrole ont drastiquement réduit les revenus de la rente pétrolière, mais c'est aussi un ralentissement global de l'économie que le pays subit, provoqué par la pandémie de Coronavirus.
Entre 85 et 200 mille personnes
La banque d'Ahmed lui réclame désormais un justificatif d'identité en cours de validité pour lui donner de nouveau accès à son compte bancaire. Comme les autorités refusent de lui accorder la citoyenneté koweïtienne, il se retrouve sans solution. Pourtant, son employeur n'est pas aussi regardant. Ahmed travaille comme employé à la clinique de Sulaibiya au Koweït. Ahmed a déclaré lors de son interview: "Ils affirment que je suis de nationalité irakienne. Mais sur quelle base serais-je subitement Irakien?! Eh bien, si j’étais Irakien je sortirais mes papiers d’identité tout de suite, ce n’est pas un problème. Mais moi je vis au Koweït depuis toujours. Les expatriés qui vivent ici au Koweït de nos jours, ont en fait plus de droits que nous".
Ahmed qui vit au domicile de ses parents, situé dans l'un des quartiers les plus pauvres du riche pays producteur de pétrole, explique ne plus vraiment espérer que sa carte d’identité soit renouvelée, étant donné que les autorités pensent qu'il est Irakien: "Mais personne ne peut supporter 14 mois sans salaire!".
Son père, Kamel Al-Enezi, a déclaré qu'il était lui-même né au Koweït et que son grand-père paternel vivait au Koweït en 1934, c'est-à-dire avant même l'indépendance officielle du pays vis-à-vis de la Grande-Bretagne en 1961. Les données officielles du gouvernement indiquent qu'au moins 85 000 Bédouins vivent au Koweït, mais les militants disent que leur nombre pourrait atteindre 200 000. Les États du Golfe se sont modernisés très rapidement des années soixante à nos jours; beaucoup de Bédouins n'ont pas réclamé la citoyenneté soit parce qu'ils étaient analphabètes, parce qu’ils ne pouvaient pas fournir de justificatifs, ou parce qu'ils ne savaient pas à quel point la citoyenneté serait importante par la suite, pour eux ou pour leurs enfants.
Des centaines de comptes bancaires de Bédouins ont été suspendus
Les organisations internationales de défense des droits humains alertent sur les situations vécues par les Bédouins du Koweït. L'obstacle bureaucratique qu'on leur impose pour leur permettre l'accès aux documents civils et aux services sociaux est une véritable violation de leurs droits et un risque pour leurs droits en matière de prise en charge de leurs frais de santé.
Il n'y a pas de données officielles accessibles au public sur le nombre exact de Bédouins dont les comptes bancaires ont été gelés à cause de leur identité, mais les médias locaux ont déclaré qu'ils comprenaient des employés du gouvernement et de l'armée ainsi que des travailleurs du secteur privé.
Tariq Al-Baijan est l'un des responsables de l'Agence centrale pour la résolution du statut des résidents illégaux. C'est à son agence que des personnes comme Ahmed viennent expliquer leurs difficultés. Selon Tariq Al-Baijan, le problème est marginal puisqu'une centaine de cas seulement seraient venus se présenter à son agence pour se plaindre de la suspension de leurs comptes bancaires. En outre, il a déclaré que son agence fait tous les efforts possibles pour résoudre les difficultés de ces gens, traités au cas par cas: "Habituellement, nous venons vers eux avec une solution".
C'est également l'agence où travaille M. Al-Baijan qui a le rôle de déterminer les nationalités de certains Bédouins. Si ces derniers affirment être Koweïtiens, l'agence "met des indicateurs de leurs nationalités d'origine [comprenez autre que koweïtienne] à travers des preuves documentées et approuvées fournies par des organismes officiels tels que le renseignement et la sécurité de l'État".
Plusieurs journaux koweïtiens ont déclaré plus tôt cette année que le ministre de la Défense avait émis des directives selon lesquelles les salaires en souffrance devaient être payés. Mais en disant cela, il ne visait que les militaires bédouins "pour des considérations humanitaires".