Pourquoi Zeina a arrêté de se teindre les cheveux

Zeina Shahla, une journaliste syrienne
Zeina Shahla, une journaliste syrienne

"Aujourd'hui, il m'est difficile de me rappeler quel âge j'avais lorsque j'ai vu les premiers cheveux blancs sur ma tête. Je crois que j'avais vingt ans, peut-être même quinze ans. Je ne me suis pas inquiétée, car c'est héréditaire, je tiens ça de ma mère. Cette dernière a également vu ses premiers cheveux blancs à un âge précoce, ce qui a nécessité qu'elle continue à se teindre périodiquement les cheveux, qui sont aujourd'hui devenus complètement blancs.

Lorsque j’ai aperçu mes premiers cheveux blancs, je me suis dit qu’il était temps pour moi d'entrer dans le cycle de la coloration capillaire pour préserver mon éclat et ma jeunesse, car les cheveux blancs sont généralement un signe de l'âge, et je me trouvais encore trop jeune pour avoir les "cheveux gris" comme tout le monde me le disait.

La coloration capillaire, une spirale, dont j’ai pris conscience quelques années plus tard et qui ressemble à une boule de neige, de plus en plus grosse jusqu'à ce qu'il devienne difficile de l'arrêter. J'ai commencé à teindre mes cheveux de la même couleur que ma couleur naturelle, c’est-à-dire en noir, juste pour cacher les cheveux blancs. Petit à petit, je me suis enhardie à changer. J'ai choisi la couleur de ma teinture selon mon humeur.

Si j'étais pressée, je les teignais en noir, car c'est le processus le plus rapide et le moins dangereux. Contrairement aux autres couleurs, je ne risquais pas de faire une erreur de mélange de couleurs, en allant vite, ou de ne pas répartir le colorant uniformément sur toutes les mèches de cheveux, pour un résultat potentiellement désastreux.

Et si j'avais une envie de changement, je choisissais une couleur parmi les dérivés rouges qui ont de multiples noms et degrés : Aubergine. Vin. Ultra Violet. Parfois, j'osais les teindre en noir bleuté, qui a tendance à donner des reflets bleus au soleil, ce que je trouvais particulièrement joli. Je n'ai jamais aimé le blond ou le brun. Et le processus se faisait soit chez moi, soit dans un salon de beauté, selon mon humeur. Aller au salon ne fait pas du tout partie de mes activités préférées.

J'ai utilisé la plupart des marques commerciales connues en Syrie et, au fil des années, j'ai développé de grandes compétences dans la comparaison des colorations. Celles-ci sont bonnes, mais sont moins stables, car leur couleur s'estompe au bout de deux semaines. D'autres rendent les cheveux secs. Un troisième type est mon préféré, mais je ne trouve pas toujours les couleurs que je veux.

Année après année, les intervalles entre chaque teinture ont diminué, et j’ai pu voir que la quantité de cheveux blancs augmentait rapidement. Dans ma ville, il n'est pas décent de laisser mes cheveux longs sans les teindre. Lorsque j’ai cessé de me les teindre, une démarcation est apparue, où mes racines blanches sont apparues de façon flagrante, ce qui me rend évidement encline à entendre beaucoup de commentaires, du genre :

- "Pourquoi tu laisses tes cheveux comme ça ?"

- "Chérie, teins-moi ces cheveux tout de suite, parce que tu fais plus vieille que ton âge."

- "Es-tu folle ? Tu dois te faire teindre les cheveux toutes les deux semaines pour garder un look soigné."

- "Cela ne vous dérange pas d’avoir des cheveux blancs au milieu de la tête ?"

Zeina Shahla à Damas (2024)
Zeina Shahla à Damas (2024)

Marquée par la guerre en Syrie

Dans ma ville, les cheveux teints sont un signe d'élégance et de jeunesse, comme si je devais rester jeune toute ma vie et dépenser beaucoup de temps et d'efforts à lutter contre l'effet du passage des années sur mon corps. Donc, je dois les teindre, et je dois surveiller au quotidien ces maudits cheveux blancs rebelles pour qu'ils ne poussent pas au-delà de la limite autorisée "socialement" : mais le rythme de leur apparition s'est fortement accéléré au cours des dernières années, qui ont été marquées par la guerre en Syrie. Alors, forcément, toutes les semaines, ou presque, je découvre des cheveux blancs ou même de nouvelles touffes blanches sur mon cuir chevelu.

Les cheveux blancs, comme on dit, augmentent avec la multiplication des soucis, et avec la quantité de peur que nous vivons et auxquelles nous sommes exposés, car les cellules responsables de la production de la couleur des cheveux sont épuisées. Un autre phénomène courant est appelé "syndrome de Marie-Antoinette", et fait référence à des cas de blanchissement des cheveux en un éclair, comme cela s'est produit avec la reine française, qui s’est retrouvée avec les cheveux blancs la nuit de son exécution, comme le veut la légende.

Plus de quatre mille jours se sont écoulés depuis le début de la guerre dans mon pays. J’ai peut-être pris un cheveu blanc par jour c’est-à-dire quatre mille cheveux blancs, ou plus. Avec l'augmentation des "cheveux gris", ceux qui m'entouraient ont commencé à remarquer quelque chose de différent en moi, qui n'était pas évident au début. "Qu'est-ce qui a changé Zeina ?", m’ont-ils demandé. Puis j'ai pris note de leurs réactions, qui allaient du soutien et de l'admiration à la ferme condamnation.

-    "C'est une très bonne idée. Pourquoi pas ? C’est bien d’essayer ce look.".
-    D’autres disaient : "Non, mais c’est affreux, c’est quoi ce style ?".
-    "Une expérience merveilleuse. Ne les teignez plus jamais ! Laissez-les comme ça."
-    "Ce n'est pas une honte de se teindre les cheveux ; Si tu n'aimes pas les cheveux blancs, tu peux revenir en arrière et te faire teindre les cheveux."
-    "Non, non, je n'aime pas du tout l'idée. Les cheveux teints sont plus classe. Les cheveux blancs... ne sont pas beaux. Ça ne fait pas du tout soigné. Moi, je ne peux que teindre mes cheveux."
-    "Je ne sais pas. Je veux dire, si tu veux mon avis, je te dirai qu’il vaut mieux les teindre. Enfin, c’est toi qui vois.".
-    "Pourquoi tu t'infliges ça ? Il t'est arrivé quelque chose ?"
-    "Avec l’âge, les cheveux blancs poussent. Les hommes n'ont pas de problème avec les cheveux gris et ils ont quand même du prestige, mais les filles ? Non, c'est impossible."
-    "Par Dieu, j’en ai assez de la teinture, mais que devons-nous faire ? Il m'est impossible de faire comme vous.".

J’ai hâte que tous mes cheveux soient blancs

Aujourd'hui, je crois que j’ai vraiment hâte que la couleur blanche recouvre mes cheveux jusqu'aux pointes et de me regarder dans le miroir pour la première fois depuis plus de quinze ans sans teinture.

Je m’étais fixée comme objectif de me teindre les cheveux toutes les trois semaines, pour m'assurer d'avoir un look décent, et c'était comme une date fixe que je notais à chaque fois dans mon petit carnet. Le prochain rendez-vous devait être le 20 décembre. Et ce jour-là, je me suis regardée dans le miroir, et pour la première fois j'ai osé penser à voix haute : "Je suis fatiguée et lasse. Et si je ne me teignais pas les cheveux ? Est-ce que j'aurai l'air moche ? Moins que d'autres qui se colorent les cheveux ? Pourquoi ne pas essayer de sauter ce rendez-vous ? Des questions qui se sont multipliées peu à peu, et se sont mêlées aux centaines de questions que je me pose chaque jour, sur le sens de la vie et de la mort, et sur une grande partie de ce que nous vivons à la lumière d'une guerre insensée dont le moindre impact sur nous génère de la folie, ou l'indifférence absolue. J'ai senti que ça valait la peine d'essayer. Alors j'ai regardé la boîte de teinture sur mon étagère qui attendait que je la mette sur la tête, et lui ai demandé de me donner un peu plus de temps, pour voir à quoi je ressemblerais dans quelques semaines, pour voir comment serait le vrai moi, sans couleur.

Zeina Shahla pose au milieu d'un champs de pêchers et de coquelicots
Zeina Shahla pose au milieu d'un champs de pêchers et de coquelicots

Les coiffeurs de notre ville n’aiment pas les cheveux blancs !

Les coiffeurs de notre ville sont les ennemis des cheveux blancs. Ils rejettent complètement et catégoriquement la présence de cheveux blancs sur la tête de leurs clientes et les invitent à s'asseoir immédiatement sur la chaise pendant qu'ils préparent la teinture appropriée pour obtenir quelque chose d’acceptable selon nos normes sociales. Un examen que j'ai passé avec succès après avoir rendu visite à mon coiffeur il y a environ deux mois. J'attendais la phrase habituelle quand j'ouvrirais la porte de la boutique : "Pourquoi tu restes comme ça ? Allez, assieds-toi tout de suite pour la teinture.".

Sa réaction a été différente cette fois-ci. Il m'a dit de m'affermir dans ma "décision et mon expérience" et m'a suggéré de laisser mes cheveux blancs tels quels, car aujourd'hui c'est "la dernière mode, et beaucoup de filles paient cher pour avoir des cheveux blancs, gris ou argentés.". Ça, c’est une idée qui m'a semblé un peu drôle. Les filles paient pour avoir des cheveux blancs, alors que j'ai aussi dépensé beaucoup de temps et d'argent pendant de nombreuses années pour me débarrasser de mes cheveux gris.

Mon nouvel ami n’ose me questionner à propos de mes cheveux gris

Il y a quelques mois, je me suis fait un nouvel ami. Il m'a confié lors de notre deuxième ou troisième rencontre qu'il avait honte la première fois de me demander pourquoi j'avais tant de cheveux gris. Peut-être pensait-il que je souffrais d'une maladie ou d'une sorte de folie. En tout cas, il trouvait gênant de me poser une question : "Pourquoi tes cheveux ressemblent-ils à ça ?". Une question à laquelle je suis exposée périodiquement, mais dont la fréquence diminue de jour en jour.

Cet ami a appelé mes cheveux blancs "les cheveux de la vie", et m'a dit que je lui rappelais une princesse qui avait l'habitude de donner vie à ceux qui l'entouraient avec ses cheveux blancs magiques, dans une de ces histoires racontées aux enfants lorsqu’ils vont se coucher.

Tout le monde autour de moi aujourd'hui sait que mes cheveux ne sont pas complètement noirs, et que la moitié d'entre eux sont blancs. Malgré tout, je vois encore un peu d'émerveillement dans les yeux de certaines personnes que je rencontre pour la première fois. Il n'est pas facile de demander à une fille qui n'a pas l'air vieille pourquoi elle a les cheveux gris. Mais quand je vois cette question dans leurs yeux qui me fixent, je veux leur faire gagner du temps et leur dire : "C'est moi et j'ai complètement arrêté de me teindre les cheveux. Oui, c'est ce à quoi je ressemble. C'est ma couleur de cheveux, c'est un mélange de noir et blanc. Je l'adore et je pense qu'elle dit plus que jamais qui je suis !"."

Une belle réflexion, à méditer ! Et voici le compte Instagram de notre journaliste syrienne : Zeina Shahla Instagram

Auteur :
Mis en ligne : Dimanche 13 Août 2023
 
Dans la même thématique