La fermeture d'Al-Saqi, libraire emblématique du Moyen-Orient à Londres, est considérée comme le signe d'une évolution du secteur de l'édition. Pendant des décennies, Al-Saqi a été le lieu de prédilection à Londres des amateurs de culture arabe et de livres sur le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord. Al-Saqi Books a ouvert ses portes à Londres en 1978 pour répondre à la demande de livres en anglais et en arabe sur tous les sujets liés au monde arabe. Mais après 44 ans d'activité, la propriétaire, Mme Lynn Gaspard, affirme que "des défis économiques difficiles" ont obligé le magasin à fermer.
De toute évidence, la fermeture de la librairie londonienne est mal vécue par ceux et celles, des générations de Moyen-Orientaux de Londres, qui considèrent la librairie comme une véritable oasis culturelle unique et un lieu de rencontre chaleureux depuis 44 ans.
La fille du fondateur d'Al-Saqi déclare: J'ai grandi à Saqi
La fille de l'un des deux fondateurs d'Al-Saqi, a annoncé dès le 5 décembre 2022 la fermeture de la boutique, victime d'une véritable tempête de difficultés, du Brexit, de la pandémie liée au Covid-19 mais également, et c’est plus étonnant, de la crise économique que subit le Liban. "C'est une perte énorme", a-t-elle déclaré. "J'ai grandi à Saqi. Mon bus scolaire m'y déposait et j'y passais trois heures chaque jour quand j'étais à l'école primaire.". Ce sentiment d’une grande perte est partagé par toute la communauté britannique des expatriés du Moyen-Orient. Pendant des décennies, la boutique a été le lieu de prédilection à Londres de la littérature d’auteurs arabes, que ce soit celle du Moyen-Orient ou d'Afrique du Nord, en anglais ou en arabe.
"Depuis que nous avons annoncé la fermeture (le 5 décembre), nous avons été tellement bouleversés et émus par la réaction de nos amis, de nos clients, de nos lecteurs, de nos auteurs", a-t-elle déclaré. "C’est incroyable. Mais nous avons dû faire face aux faits et réalités de la situation. Il y avait un peu trop de défis. Nous sommes une entreprise familiale. Nous sommes petits, nous sommes indépendants et nous faisons tout nous-mêmes, depuis l'approvisionnement du stock dans le monde arabe, en particulier au Liban, à sa commercialisation, chez nous, en passant par la livraison aux clients qui passent commande par correspondance.".
Mai Ghoussoub, l'une des créatrices de la librairie s'intéressait aux idées, à la culture et aux gens
Le fait que l'avenir de la boutique soit entravé par le chaos au Liban est assez ironique! En effet, la librairie londonienne été fondée en 1978 par André Gaspard, père de famille, et son amie Mai Ghoussoub. Ces deux personnes ont fui la guerre civile libanaise qui a éclaté en 1975. Les deux amis fuirent le pays et s'installèrent à Paris. André Gaspard y est resté pendant un certain temps, mais a finalement suivi Ghoussoub qui avait préféré déménager à Londres. Quelques années plus tard, elle l'a appelé et lui a dit: "Tu sais, il n'y a pas de librairies en langue arabe à Londres, est-ce qu'on peut en ouvrir une?", raconte Gaspard. Son amie Mai Ghoussoub est décédée il y a une quinzaine d’années (elle avait 54 ans). Elle a laissé son empreinte et a marqué beaucoup de gens! Pour Halasa, un client, elle était extraordinaire! "J'ai un héritage arabe mixte: je suis Philippin, je suis Jordanien et mon identité a toujours été un mystère pour moi. Je me sentais comme quelqu'un qui n'était pas totalement Arabe, mais Mai ne s'intéressait pas à tout ça. Elle ne s'intéressait pas au panarabisme, elle s'intéressait aux idées, à la culture et aux gens. Elle était très ouverte et elle m'a vraiment donné de bonnes bases dans la vie!". Il précise: "Quiconque s'intéressait au Moyen-Orient y allait, forcément! C'était comme une maison de famille. Vous pouviez entrer, vous pouviez sortir et parler, vous pouviez regarder des livres – et vous pouviez manger des dattes et du chocolat.".
Un espace où on se sent bien!
Al-Saqi signifie "le vendeur d'eau", et le logo du magasin est un homme qui vend de l’eau à deux jeunes enfants: il s’agit d’un symbole de vie et de connaissance. "Ils avaient une vision d'un espace accueillant, où les gens pourraient simplement se sentir à leur aise. Et c'est ce qu'est une maison – un endroit où vous êtes bien!", explique une cliente habituée des lieux. Selon une autre habituée du lieu, "Cette extraordinaire librairie semblait être le dernier endroit du genre, alors j'aurais dû visiter plus souvent le lieu pendant les années COVID, mais d'une manière ou d'une autre, le simple fait d'être là était rassurant – cela faisait partie de mon paysage, de ma vie.". La triste nouvelle a choqué beaucoup de clients, cependant, l'un d'eux dira: "Mais d'un autre côté, j'ai aussi le sentiment que Londres a aujourd'hui une scène artistique et culturelle arabe si dynamique, avec tant d'associations et d'espaces géniaux, tels que l'Arab British Center, les Mosaic Rooms, la Arts Canteen et des associations artistiques telles que Shubbak, un festival biennal des arts et de la culture arabes contemporains…".