L'esclavage des noirs par les Arabes

Monument aux esclaves à Zanzibar
Monument aux esclaves à Zanzibar

L’esclavage pratiqué par les Arabes est de type domestique, sans que l’on puisse actuellement avancer aucune statistique sur son importance relative. En Méditerranée musulmane, la domesticité semble répandue dans les familles riches puisqu’il est de coutume d’offrir une esclave noire en cadeau de noces. A Fès au XVe siècle, au Maroc, il était normal qu'un couple de jeunes mariés puisse disposer d’une domestique.

Il n’est pas question dans ce bref article d’innover sur la base de nouvelles recherches en archives, mais simplement de dresser un bilan historiographique.

La présence d’esclaves noirs est attestée dès la plus haute antiquité sur les rives de la Méditerranée, et lorsque s’achève l’époque moderne la pratique est encore courante sur l’ensemble des rivages du monde musulman. L’histoire de l'esclavage en Méditerranée a laissé des traces aussi ténues qu’éparses. Les sources d'informations sont rares, d’où la difficulté de cerner avec précision son ampleur et les mécanismes de son fonctionnement.

Paradoxalement les sources médiévales sont beaucoup plus abondantes, surtout grâce aux chroniques des empires du Mali. Ces empires, fondés par des Arabes musulmans, ont été édifiés du sud du Sahara jusqu'au bassin du Niger. Selon les sources du "Tarikh el-Fettach" et du "Tarikh el-Soudan", on nous renseigne sur la présence de Noirs qui, depuis la fin du XVe siècle, vendaient librement leurs services.

Les caravelles d’Henri, le navigateur, débarquaient leurs premières victimes sur les marchés du Portugal, jusqu’au XIXe siècle marqué par l’abolition de la traite en 1815. En revanche, nous l’affirmons, il est faux de parler de "traite" ou de capture de Noirs en ce qui concerne la Méditerranée musulmane puisque les Noirs vendaient leurs frères noirs aux Arabes musulmans.

Qui sont ces esclaves?

Selon la tradition, les esclaves étaient traités avec la plus grande bonté, étant parfois même considérés comme membres de la famille, sortes de parents pauvres accablés par le destin. Dans les villes, on leur enseignait l’arabe, et en général on essayait de convertir les Noires à l’Islam. Il s'agissait de conversions superficielles, impossibles à cataloguer dans le cadre d’une acculturation réussie. A la première occasion le vernis islamique craquait, laissant place à un retour aux coutumes sub-sahariennes, comme on pouvait le constater, par exemple à l’occasion des mariages. En effet, avec le consentement de leur maître ces femmes épousaient principalement un autre esclave.

Plus au sud, dans le désert presque toutes les tribus nomades ont à leur service de nombreuses femmes noires, toujours aussi bien traitées, toujours selon la tradition. Certaines, après une période de bons et loyaux services, retrouvaient la liberté au sein de la tribu avec les mêmes droits que les autres membres.

Beaucoup de Noires furent enfermées comme concubines dans les maisonnées. Car un hadith du Prophète Mohammed dit: "le Noir laideron vaut mieux pour toi que la belle Blanche au ventre stérile…". Leur nombre reste mystérieux mais on peut l’estimer suffisamment important puisqu’elles ont participé au métissage d'une bonne partie de la population sur un espace qui part de la zone des oasis à la latitude de Warghla aux centres de redistribution comme Sijilmassa ou Fès.

Le Maroc a eu une véritable armée composée d'Africains
Le Maroc a eu une véritable armée composée d'Africains

Au chapitre de la domesticité, les eunuques noirs ont troublé l’imaginaire occidental, mais l’approche statistique reste aussi délicate que la précédente. Nous avons affaire plus souvent à des impressions et des témoignages qu'à de réels chiffres.

Sans égard pour la misère de ces malheureux, on distinguait ceux qui avaient subi l’ablation des seuls testicules, fréquent en Iran, et ceux dont on avait coupé la totalité des organes sexuels.

L’opération était pratiquée après la traversée du Sahara, très souvent en Egypte où les moines coptes s’en étaient fait une spécialité. Seuls ceux de la deuxième catégorie étaient commis à la garde des harems. La fidélité des uns et des autres valait toutes les gardes prétoriennes. Sachant que le reste de la société les rejetait sans appel, ils ne trouvaient de compensation affective que dans la reconnaissance de leur maître. Un véritable transfert au sens freudien s’opérait qui n’a pas encore été étudié par les psychanalystes.

Quoi qu’il en soit, l’eunuque était symbole de richesse puisqu’il valait plus du double de l’esclave ordinaire. A partir du IXe siècle leur nombre se multiplie dans les palais princiers. Le calife Al-Muqtadir (908-932) en aurait possédé 11000 dont 7000 Noirs, rapport numérique qui se passe de commentaire sur la majorité de Noirs africains. Certains ont rempli de très hautes fonctions, et, à partir de 1582, les Noirs supplantent définitivement les eunuques blancs dans la fonction publique. En Arabie, on en trouvait beaucoup ; employés sur les lieux saints où certains ont réalisé d’énormes fortunes. Pour être complet il faudrait ajouter ceux qui assuraient un simple service domestique, ou ceux qui avaient des fonctions dans l’économie, ou dans l’armée comme nous allons le voir.

Les gardes composées d'hommes noirs apparaissent dès le début de la conquête islamique en Tunisie et en Egypte. Ces gardes seront composées d'un nombre de Noirs jusqu’à 40 000 hommes à la fin du IXe siècle rien qu'en Egypte, et autant au début du XIIe. Cela finira par jouer un rôle si important qu’on l’estimera dangereuse. A plusieurs reprises le pouvoir encouragea la foule à les massacrer. En 1169, lors d’une dernière tentative de soulèvement, 50 000 Noirs furent mis hors de combat, mais l’alerte avait été si chaude que ces gardes furent définitivement supprimées. Par la suite, cela n’empêcha pas de continuer à enrôler des Africains dans les autres corps de troupe.

Au Maroc, le royaume a créé une véritable armée composée de Noirs

Au Maroc, ce corps d’élite dura beaucoup plus longtemps. Mulay Isma’il (1672-1727) ne s'est pas contenté d'un corps de garde, mais a constitué une véritable armée de soldats-esclaves noirs. A partir de 1672, les expéditions se multiplient vers le sud pour acheter des Noirs sur les grands marchés du Soudan, à Djenné ou à Tombouctou. Très vite cette armée devient si nombreuse que le sultan bâtit une ville pour la loger, la cité de Mogador, aujourd'hui Essaouira.

Les soldats sont encouragés à se marier et leurs enfants deviennent à leur tour soldats-esclaves. A 16 ans ils achèvent leur formation et épousent une jeune "négresse" afin que leurs enfants les remplacent un jour. Le système fonctionna si bien qu’un siècle plus tard ce corps était devenu la première force de l’Etat et décidait du maintien ou de la chute du souverain et de ses collaborateurs. Sadi Muammad, menacé d’une nouvelle révolte dissout définitivement le corps et en dispersa les hommes sur l’ensemble du royaume.

Souk el Berka
Souk el Berka

Les sociétés arabes n’étaient pas des sociétés dites esclavagistes

Le système productif méditerranéen ne semble pas avoir retenu une foule d’esclaves comme cela fut le cas dans la Caraïbe ou aux Etats-Unis par exemple. Seul l’Orient mésopotamien semble avoir utilisé le travail servile sur une échelle comparable à celle de l’Amérique.

Les travaux d’Alexandre Popovic sur les grandes révoltes des VIIe et IXe siècles en révèlent l’ampleur, mais rien de comparable n’a encore été entrepris pour l’époque moderne en Méditerranée. On connaît cependant l’importance des plantations de canne à sucre du Maroc dont l’essentiel de la main-d’œuvre provenait du sud du Sahara. Là encore de sérieuses révoltes dans les années 1576-1598 ont eu lieu au Maroc.

En dehors du cas du Maroc, qui est semble-t-il marginal, le travail des esclaves noirs est exploité ça et là mais il ne s'agit pas d'une concentration industrielle. Ce qui n’exclut pas un total important d’hommes ou de femmes mis au service d’un superflu. Il vaudrait donc mieux parler d’une société qui a effectivement pratiqué l’esclavage que d’une société esclavagiste.

Combien d’esclaves ?

Le "Tarikh" relate les débuts de l'esclavage musulman, mais la plupart de cette époque échappe au scriptural et ne peut être relaté que dans une tradition orale en voie de disparition. Quoi qu’il en soit, demeure l’insoluble problème statistique. L’archéologie devrait fournir de solides bases à partir de l’extension de la désertification due très souvent aux variations climatiques facilement repérables, mais lorsque ce n’est pas le cas, il s’agit que la limite extrême est atteinte lorsque l’insécurité ne laisse plus la possibilité d’une production agricole.

C’est ce que révèle le très beau travail conduit au Sénégal le long de la vallée du fleuve par les chercheurs de l’IFAN. Mais tout reste à faire pour la vallée et le delta intérieur du Niger. Il faut croire que les prédateurs ont ratissé avec une efficacité maximale le Sénégal puisque certains sont allés jusqu’à la frontière avec la Côte d’Ivoire. Dans l’actuel Ghana subsiste la route dite des mosquées, le long de laquelle les Musulmans venus du nord, convertissaient en même temps qu’ils rassemblaient leurs caravanes. Que l’on réalise bien la distance de près de mille kilomètres avant d’atteindre cette dernière.

Les débats autour de la légitimité de l’esclavage

El Bekri en 1068 décrit ce flux traversant des marchés très actifs du Caire, ou parfois, à Tripoli à l’ombre de la grande mosquée où les esclaves s’échangeaient contre des étoffes rouges, tandis qu’autour s’éployaient jardins irrigués et palmeraies surgies en plein désert.

Les énormes marchés aux esclaves avaient gonflé la population des cités devenues également des centres majeurs de la culture musulmane. Autour des mosquées, de puissantes universités débattaient de la légitimité de l’esclavage. Hamed Baba enseignait à Tombouctou que la servitude de l’incroyant ne posait aucun problème de conscience. Tout l’argumentaire reposait sur les cas limites du captif de guerre converti au moment de sa défaite et autres hypothèses formalistes où la science coranique s’épuisait en débats aussi vains que ceux des scolastiques formalistes de nos universités médiévales. De tout cela subsiste le sentiment d’une mauvaise conscience comparable à celle que connaîtra l’Europe au XVIIIe siècle. L’Islam au reste n’apportant pas plus de solution humaniste que la Chrétienté.

Des esclaves noirs destinés au Maroc (début 20 ème siècle)
Des esclaves noirs destinés au Maroc (début 20 ème siècle)

Retenons de tout cela que le trafic négrier pour susciter de tels débats n’avait rien d’anecdotique, mais condamnait chaque année des milliers de victimes à franchir le désert.

Toujours au XVIIe siècle, chaque année, on allait vendre les esclaves sur le marché de Souk al Barka à Tunis construit à cet effet entre 1610 et 1637. Il est certain que l’investissement était encore rentable en dépit de la concurrence de la traite atlantique. Personne ne nie qu’au XVe siècle l’arrivée des Portugais sur les côtes occidentales de l’Afrique brise en partie ces anciens réseaux. Le commerce des esclaves se détourne massivement vers l’Atlantique sur les côtes de Sénégambie et sur celles du golfe de Guinée. Alors des Guinéens s’étaient engagés en masse à vendre des esclaves noirs. Après la défaite du soulèvement anti-esclavagiste, ils se retirèrent au Fouta-Djallon où ils fondèrent un solide royaume, véritable plaque tournante de la traite. Ce revirement s’explique aisément si l’on admet qu’ils maîtrisaient alors les razzias sur l’ensemble de la zone nigérienne dont ils divisaient les victimes entre les marchés de Tombouctou et ceux du Galam destinés à Saint-Louis. Vous noterez donc que ce sont bien des Noirs Africains qui ont vendu des Guinéens.

Conclusion

Notre propos focalisé sur les esclaves n’a pas tenu compte du commerce conjoint de l’or et le l’ivoire africain, toujours actif. La Méditerranée se trouve ainsi au centre d’un double courant, celui bien connu qui alimente les flux à destination de l’Atlantique et celui, moins bien connu, qui dessert les autres pays africains. Durant la période de l’esclavage, on a foulé aux pieds le plus élémentaire humanisme et on a mis à égalité deux mondes religieux théoriquement assoiffés de la grandeur de l’homme, mais qui n’ont rien à "s’envier" sur le chapitre de l’esclavage ; la Chrétienté et le Monde musulman.

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Mis en ligne : Vendredi 27 Août 2021
 
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