Cette femme kurde, éduquée et mère de trois enfants, ne s'est pas toujours exprimée au nom des siens. Pourquoi cet engagement ? "J'ai été témoin de la vente par sa mère d'une fille de 13 ans à un homme de 70 ans. Cette pratique terrifiante m'a poussée à m'engager en politique.".
Mukkades Kubilay réalise alors l'urgence de donner aux femmes des moyens de se battre contre des coutumes telles que les mariages forcés ou les crimes d'honneur. Une évidence s'impose : les femmes doivent prendre leur place en politique. A ce titre, une autre femme, Leila Zana, députée du parti kurde DEHAP, qui malgré onze ans de prison, poursuit son combat pour la cause kurde et pour la paix, lui sert de modèle.
Elle souhaite aussi améliorer les conditions de vie des Kurdes
Son combat pour la cause féminine en rejoint un autre, plus vaste : celui d'améliorer la condition sociale et économique des Kurdes, chaque jour plus inquiétante. "les Kurdes et les Turcs sont des peuples frères", insiste Mukkades.
Lorsque Mukkades a été élue maire de Dogubayazit pour la première fois, il y a six ans, tout était à construire. Et ce n'est pas fini... le travail s'annonce long et périlleux : la région est depuis plus de quinze ans dévastée par les conséquences du conflit qui oppose les guérilleros du PKK à l'armée turque, alors qu'aucune solution n'a été encore trouvée pour les milliers de réfugiés.
L'aide européenne est précieuse
Malgré sa volonté, Mukkades admet que dans une société patriarcale, il n'est pas facile de faire respecter la voix d'une femme. Il y a seulement 17 femmes sur 3216 maires dans toute la Turquie.
Mais une rencontre décisive avec une Italienne, maire d'Ancona, permettra à Mukkades de conserver son optimisme et d'engager des projets qui donneront une véritable impulsion à l'économie locale. C'est lors d'une conférence internationale des maires, que Mukkades Kubilay a fait la connaissance de son homologue italienne, qui lui propose de coopérer. Coopération qui aboutit sur différents projets, comme la création de la "Maison des Femmes de Dogubayazit". Cette clinique accueille les femmes pour toutes sortes de problèmes de santé, mais prodigue également des conseils de planning familial. Elle va même jusqu'à dispenser des cours d'alphabétisation.
Mukkades a également soutenu l'implantation d'une coopérative de femmes spécialisée dans l'artisanat sur sa commune. Grâce à la coopération italienne, puis française, d'autres projets de ce type ont pu voir le jour. Ainsi, on a organisé à Dogubayazit en juin, pour la troisième fois, le festival annuel de la culture kurde avec musique, chants, danse et théâtre. Dans un pays où le simple fait de parler kurde était, il y a quelques années, passible d'une peine de prison, la démarche est audacieuse et relève même du défi.
Mais cela n'empêche pas Mukkades de prendre du recul et de rester méfiante : les escarmouches entre la guerilla kurde du PKK et l'armée turque reprennent et peuvent provoquer une nouvelle crise économique et sociale. Pourtant, elle fait ce vœu : voir les femmes réconcilier les membres de la famille, les frères kurdes et turcs. Car pour elle, "la femme est la réconciliatrice de la société, elle lutte pour la paix."
D'après un article de Vincent Chansel, Stéphane Morandière et Olivier Vignancour.