Ahmed Mansour a été interviewé en 2016 par le chercheur et cinéaste madame Manu Luksch. Depuis 2017, il est incarcéré à l’isolement certainement pour avoir parlé des manquements au respect des droits de l'homme aux Emirats lors de cet entretien. Mme Louksch annonce qu'elle va bientôt produire un documentaire sur la vie de Ahmed Mansour. Voici un résumé de l'interview de 2016 et la situation actuelle de Monsieur Mansour.
Qui est Ahmed Mansour?
Ahmed Mansour est né le 22 octobre 1969 aux EAU, dans un des 7 émirats qui compose la fédération, plus précisément dans un petit village de l'émirat de Ras al-Khaimah. Il y a grandi, fait ses études et obtenu un baccalauréat en génie électrique. Il a ensuite parfait sa formation en obtenant une maîtrise en télé-communications aux Etats-Unis.
Cet ingénieur est revenu vivre aux EAU en 2000 et a fondé une famille. Il est marié et père de deux enfants. Il se dit laïc et libéral. Il s'est établi dans la ville de Dubaï et depuis 2008 en est un citoyen officiel.
Ahmed s'est mis à s'exprimer dans des journaux émiratis. Il rédigeait alors des articles tout d'abord sur des thèmes concernant la littérature et la poésie. Il a même écrit un livre à ce propos. Au fil de ses interventions écrites dans la presse, Ahmed dit avoir compris l'importance de la liberté d'expression et s'est alors engagé dans la lutte pour développer ce droit fondamental au sein des émirats. Dès lors, Ahmed est devenu un militant très actif pour les droits de l'homme aux EAU.
Le parcours de militant de Ahmed Mansour
Rêvant que son pays accorde à chaque citoyen plus de droits et plus de liberté d'expression, Ahmed fut rejoint par un groupe de personnes aspirant aux mêmes objectifs. Conscients qu'ils allaient devoir lutter pour obtenir plus de droits et que personne ne leur viendrait en aide ou que ces droits n'allaient pas être accordés par les autorités sans efforts, ils décidèrent de créer tous ensemble un site Internet en 2011 dans le but de permettre à chaque citoyen émirati de disposer d'un espace de discussion libre et sans entrave. Le site web consistait en un forum nommé "Emirates Dialogue".
Surtout que quelques mois auparavant, leur espoir de changement suite au mouvement populaire que certains appelaient "le printemps arabe" s'est achevé sans aucune avancée concrète.
Mais le forum "Emirates Dialogue", qui a connu très vite un franc succès populaire, a gêné les autorités émiriennes. Pourtant cet espace virtuel d'échange aurait permis, selon Ahmed, des dialogues respectueux et constructifs entre des gens de tous horizons: des laïcs, des athées et des croyants échangeaient sur sa plate-forme internet témoignant du réel besoin de la population d'exprimer ses idées et ses points de vue. Des idées bien souvent critiques à l'encontre des dirigeants qui ont progressivement entravé le fonctionnement du site Internet. Blocage du nom de domaine, blocage du trafic par les opérateurs Internet, placement sur liste prohibée du site web, le pouvoir émirien n'a pas ménagé ses efforts pour finalement fermer cet espace de liberté.
Les autorités ne se sont pas contentées d'interdire l'accès au site Internet qui n'aura existé que 6 mois; les administrateurs, dont Ahmed, ont également été arrêtés cette même année 2011.
Toutefois, les dirigeants ont fini par redonner leur liberté à Ahmed et ses camarades. Par clémence vous pensez? Ahmed, lui, pense que sa notoriété étant grandissante, les dirigeants ont voulu éviter d'attirer l'attention des organisations internationales de défense des droits de l'homme en l'emprisonnant. D'autant que Ahmed est un militant reconnu par ces organisations.
Le pouvoir émirien a toutefois opté pour une autre forme de répression envers Ahmed et ses complices; une véritable campagne de diffamation fut mise en oeuvre.
La campagne de diffamation
La campagne de diffamation lancée par les autorités ciblait particulièrement Ahmed. Les dirigeants n'ont épargné aucun effort pour le calomnier. Ils ont publié des vidéos, créé un site pour diffuser des informations uniquement sur Monsieur Mansour. Ils inventaient des histoires quotidiennement à son sujet, largement diffusées et relayées sur tous les réseaux sociaux. Par la suite, la presse, la radio et la télévision émiraties ont été utilisées pour diffuser ces calomnies. Certains rédacteurs en chef se sont acharnés à ternir son image auprès du public.
Ahmed a reçu plusieurs menaces de mort de la part d’individus qui ne se cachaient pas, ils n'ont jamais masqué leur identité. Ils agissaient en toute impunité. Le 8 avril 2011, Ahmed fut inculpé à nouveau pour avoir soi-disant insulté le président des Émirats arabes unis, son prince héritier et le premier ministre. Ses idées politiques ont également été considérées comme une offense envers le pays.
Mais ces arrestations l'ont rendu encore plus célèbre et populaire. Parmi ses partenaires de la première heure, le professeur de droit de la Sorbonne, le Dr Nasser bin Ghaith, a aussi été arrêté à plusieurs reprises pour des "tweets" relatant ses opinions sur la situation politique en Égypte notamment.
La répression s'est durcie au point que certains acolytes d'Ahmed ont subi une déchéance de nationalité accompagnée de nombreuses arrestations arbitraires. Ahmed affirme avoir constaté des disparitions forcées, des actes de torture, des accusations mensongères et des procès politiques.
Le militant en lutte pour un changement de régime
Ahmed ne s'est pas laissé impressionner pour autant. Avec ses camarades, ils organisèrent des discussions, envoyèrent des courriers aux officiels et mirent en place des pétitions. Leur souhait de plus de liberté devait passer désormais par un changement de régime. Ils ont multiplié les informations auprès de la population en organisant des réunions publiques ou en apparaissant dans des émissions de débat politique à la télévision.
Formant un large groupe de citoyens, composé d'un grand nombre d'intellectuels, la revendication consistait à donner un pouvoir législatif réel au parlement, le conseil national fédéral. Dans les faits, ce conseil supposé représenter le peuple n'est que purement consultatif et ses membres sont choisis par les différentes familles royales.
Le gouvernement a semblé prendre en considération les demandes du groupe citoyen d'Ahmed dans un premier temps. Une modification a été proposée permettant à certains membres du conseil d'être élus par la population. Mais durant la même période, c'est-à-dire pendant l'année 2011, le président de la Tunise M. Zine El Abidine Ben Ali et le président d'Egypte M. Hosni Moubarak furent renversés et dès lors les dirigeants émiratis ont enterré le projet de modification du parlement.
Choqués par ce renoncement, Ahmed et son groupe citoyen ont produit alors une pétition, la pétition du 3 mars 2011, exhortant les dirigeants des 7 principautés fédérées à amender la constitution afin d'élire la totalité des membres du conseil par suffrage universel et doter le conseil de pouvoirs législatifs réels, sur le modèle de cohabitation de la monarchie du Royaume-Uni et son parlement anglais.
La pétition n'a pas été considérée par les dirigeants émiriens mais la surveillance et le harcèlement envers Ahmed se sont accrus depuis 2011. Ahmed s'est vu interdire de voyager à l'étranger et son passeport a été confisqué.
Ahmed expliquera sa situation de 2011 à 2016 ainsi: "Mon travail au quotidien est de défendre tout citoyen victime de violation de ses droits fondamentaux. C'est ma principale activité malgré tout le harcèlement de la part du gouvernement et la mise en place d'un puissant outil sophistiqué de surveillance de tous nos moyens de communication. J'ai été harcelé physiquement, plus d'une fois, et cela entrave bien sûr mes activités. Je n'ai pas la possibilité de me déplacer librement même à l'intérieur du pays, encore moins à l'étranger, car depuis 2011 je n'ai plus de passeport. En plus de cela, je suis également interdit de voyager, donc je ne peux même pas utiliser ma pièce d'identité pour voyager dans les pays voisins. Nous pouvons généralement utiliser nos cartes d'identité pour voyager entre les pays de la région, mais je suis sur liste noire, donc même si j'avais mon passeport avec moi, je ne pourrais pas voyager. Voilà donc le genre de difficultés auxquelles nous sommes confrontés, dans un pays qui se présente comme un pays progressiste, mais nous ne sommes pas vraiment en mesure d'y exprimer nos opinions ou d'y exercer nos droits humains légitimes.".