Conception et naissance chez les Bédouins

Bédouins tunisiens portraits
Bédouins tunisiens portraits

A l’heure actuelle, la population Ghrib est estimée à quelques 7000 individus. La zone où ils vivent, située au sud-est du lac salé Chott al-Djerid, couvre à peu près 6000 km² et fait partie de ce qu’on appelle le territoire Nefzaoua.

En fait, la tribu Ghrib constitue une confédération de 9 sous-groupes : les Ghenayma, les Thwamer, les Awlad Ali, les Jerarda, les Awlad Nwaycer, les Chitawa, les Slaa, les Fdiliyin et les Gherisiyin. On sait fort peu de chose concernant leurs origines. Certains groupes revendiquent une origine marocaine, alors que d’autres (les Jerarda, les Awlad Ali et les Awlad Nwaycer) prétendent avec vigueur qu’ils sont les véritables fondateurs de la tribu Ghrib, et qu’ils sont originaires de la partie méridionale de la péninsule arabique. Il y a quelques décennies à peine, tous étaient éleveurs, et leur travail, ainsi que leur cadre de vie, était dominé par l’élevage des dromadaires, des chèvres et des moutons, à quoi s’ajoutaient le commerce des caravanes, et les razzias ou expéditions de pillage. De nos jours, cependant, seul un nombre limité de Bédouins Ghrib continuent à errer avec leurs bergers et leurs troupeaux, alors que la majeure partie d’entre eux se sont tournés vers l’agriculture oasienne ; des populations se sont ainsi fixées à El-Faouar, Zarsine, Ghidma, Redjim Maatoug et Hezwa.

La grossesse chez les femmes bédouines

Pendant les quatre premiers mois, la future mère est choyée par son entourage et par son mari qui essaient de satisfaire toutes ses envies. En effet, un désir non satisfait risquerait d’entraîner une malformation du nouveau-né. Il est d’ailleurs conseillé de ne pas parler de personnes anormales devant une femme enceinte et de lui éviter les émotions provoquées par la vue d’un animal ou d’un être humain d’une laideur repoussante. Il faut éviter de déranger une femme enceinte dans son sommeil. Le fait d’enfreindre cette règle peut causer la mort de l’enfant dans le sein de sa mère, ou provoquer une naissance prématurée.

Si la femme est enceinte pour la première fois, bekr, l’entourage, doit être encore davantage prudent.

Femme bédouine du désert tunisien
Femme bédouine du désert tunisien

Un mari qui rentre chez lui après une longue période d’absence, et qui trouve sa femme endormie, ne doit pas la réveiller lui-même de peur de l’effrayer. S’il y a des enfants qui jouent dans les environs, il demandera à l’un d’eux de réveiller sa femme et d’informer celle-ci de son retour. S’il n’y a personne, il allumera un feu dans l’espoir qu’elle entende le crépitement.

Le danger réel lié à l’état de grossesse trouve son expression dans le proverbe suivant : l-mrâ h’âmel sâg l-barra wa sâg fi l-gbar, c'est-à-dire une femme enceinte a un pied dans le monde des vivants et un autre dans la tombe.

Les signes qui prédisent le sexe de l’enfant à naître

Ainsi que nous le verrons plus loin à propos de l’accouchement, chaque femme souhaite de tout son cœur donner naissance à un garçon. Ce n’est qu’alors qu’elle sera pleinement acceptée et admise au sein de la famille de son mari. Mettre au monde un garçon implique tout simplement la continuation du lignage par la lignée mâle, exigence à laquelle toute femme doit faire face si elle désire plaire à son mari, et si elle désire le garder. Le proverbe est clair à ce sujet : l-ûled ‘amâra wa t’-t’ufla khçâra. Un garçon apporte la prospérité, une fille la ruine ! Durant la grossesse, la femme ne négligera pas de consulter une teggâza, une diseuse de bonne aventure, pour se faire prédire le sexe de son futur enfant.

Femme bédouine de Tunisie
Femme bédouine de Tunisie

Abstraction faite de l’avis de la diseuse de bonne aventure, la femme peut déterminer elle-même le sexe de l’enfant sur base des signes suivants :
- Signes annonçant la naissance d'un garçon :
La femme s’assied toujours les jambes croisées,
L’enfant se situe dans la partie droite du sein,
La mère souffre de convulsions dans l’abdomen,
Elle sent des mouvements à partir du cinquième mois, son visage s’amincit, les vaisseaux sanguins deviennent visibles, et son ventre prend de l’ampleur ;

- Signes annonçant la naissance d'une fille :
En s’asseyant, la femme étend les jambes,
L’enfant se situe dans la partie gauche du sein,
Des douleurs se manifestent dans le ventre et dans la partie supérieure du corps,
Après trois mois, la mère sent de légers mouvements, le ventre ne grossit pas, et le visage jaunit.

L’activité sexuelle avant, pendant et après la grossesse

Lorsqu’une femme a ses menstrues, ‘âda ou h’îd’a, l’homme s’abstiendra de tout commerce sexuel avec elle. Les gens disent que celui qui ne respecte pas cette règle tombera certainement malade, et qu’il souffrira de mard’ l-mislân, une inflammation de la colonne vertébrale. Pour pouvoir guérir, il devra avoir des relations sexuelles avec une négresse ou avec une ânesse.

Une autre règle dit qu’au cours des relations intimes, la femme doit être pure, sinon l’enfant né de tels ébats risque d’émettre durant toute sa vie une mauvaise odeur.

Avant d’approcher sa femme, le mari doit invoquer Dieu afin d’être protégé contre le chayt’ân, le diable, et contre les t’âlh’în, des démons qui vivent sous terre. L’invocation est formulée comme suit: ‘a’ûdhu bi-llâh min ch-chayt’ân r-rajîm bismi-llâh r-rah’mân r-rah’îm. Je cherche mon refuge en Dieu contre le damné Satan, Au nom de Dieu, le Charitable, le Miséricordieux.

Après l’accouchement, l’homme s’abstiendra de relations sexuelles durant quarante jours. Cette période est estimée nécessaire pour qu’une femme en couches puisse recouvrer sa force et sa santé.

Photo Bebe Bedouin Tunisie
Photo Bebe Bedouin Tunisie

L’accouchement

La sage-femme, après avoir placé un sibh’a, un chapelet de La Mecque autour du cou de la femme en couches, prend place en face d’elle, relève ses vêtements, l’encourage, et lui demande de contracter ses muscles afin d’expulser, tedh’em, l’enfant. Après avoir saisi le bébé, la sage-femme coupe le çurra, le cordon ombilical, à l’aide d’un couteau ou d’une lame de rasoir. Si la mère a donné naissance à un garçon, les femmes présentes poussent des sons aigus, comme de longues trilles (le youyou), afin de manifester leur joie, et s’écrient en chœur : mabrûk hât-terrâs ! Béni soit le jeune homme !

Si c’est une fille, elles manifestent leur joie d’une façon beaucoup plus modérée, sans trilles, en disant modestement : mabrûk hâl-h’at’t’âba ! Bénie soit la femme ramasseuse de bois ! La même expression, mabrûk hâl h’at’t’âba est également utilisée en Algérie : cf. M. Gaudry, (...).

À la naissance, un garçon est traité avec beaucoup plus de respect qu’une fille. Il est déjà considéré comme un jeune homme en âge de se marier, terras, alors que la fille est sur-le-champ projetée dans les réalités de la vie quotidienne : elle est considérée comme une h’at’t’âba, une femme qui ramasse du bois à brûler. Tout le monde félicite ensuite l’accouchée dans les termes suivants : l-h ‘amdu l-llâh silkti ‘âl khîr Allah soit loué ! L’accouchement s’est bien déroulé !

Les premiers soins apportés à la mère et à l’enfant

Immédiatement après l’accouchement, la sage-femme encense les parties génitales de la femme en couches afin de la protéger contre la maladie. Si elle était malade avant l’accouchement, la sage-femme prononce les paroles suivantes pendant qu’elle répand l’encens : sbib l-gd’â majmûl fîl-h’ufra. La cause du mal est enterrée dans le trou, c’est-à-dire, puisse la maladie être à jamais enterrée avec l’arrière-faix.

Si la femme tombe malade et que la maladie persiste, la femme en couches doit tenir une paire de ciseaux dans la main droite afin de couper symboliquement la douleur. Chaque fois que la douleur se manifeste, elle invoque le Prophète : yâ nbî yâ nbî, “Ô Prophète ! Ô Prophète !” Si la maladie persiste, les visiteuses lui disent : farh’î frâchek wa hizzî mâ fih lawwh’îh fi zebbâla
Réjouis-toi de ta couche, prends ce qu’il y a dedans, et jette-le sur le tas d’ordures !
A quoi la femme malade répond : lawwah’t l-ûjd ‘mâ lawwah’tch l-frâh’a. J’ai jeté seulement la douleur, je n’ai pas jeté la joie !

Les complications qui peuvent se manifester pendant ou après l’accouchement sont imputées aux dimensions des parties génitales du mari : ‘âl ‘ah ‘zâm r-râjel, littéralement "en proportion avec la ceinture de l’homme", un euphémisme pour désigner les parties génitales de l’homme.

Avant l’accouchement, la parturiente se parfume afin que le nouveau-né puisse sentir sa mère. Au cas où elle ne l’aurait pas fait, l’enfant doit être tenu à l’écart de toute visiteuse agréablement parfumée, et ce durant quarante jours, afin de l’empêcher de mourir.

Les visiteuses lui apportent du thé et du sucre, et lui présentent leurs meilleurs vœux de la façon suivante : mabrûk mâ zâdek. Soyez félicitée (bénie) pour ce qui s’est ajouté à vous !

Le père sera immédiatement informé de la bonne nouvelle. Dans le cas où c'est un garçon, il se rend aussitôt chez lui, et une fois entré dans la demeure, il congratule son épouse et lui offre le nfâsa, c'est-à-dire une sorte d'offrande composée de petits poissons séchés, de gousses d’ail, des pois chiches, de l’huile, de la graisse et d’œufs..

La naissance d’une fille, au contraire, passe pratiquement inaperçue, et on ne se presse pas d’annoncer la nouvelle au père. Si l’homme est en train de travailler, il ne s’arrêtera même pas. Une fois informé, il ne se hâtera pas de rentrer à la maison, et il n’est pas rare qu’il reste même absent durant une semaine ou plus.

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Mis en ligne : Dimanche 24 Mai 2020
 
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