Certaines reines marocaines ont joué un rôle déterminant dans la politique du Royaume. Lalla Khenata en est une belle illustration. Originaire du Sahara et épouse du Sultan Moulay Ismail qui régna de 1672 à 1727, lalla Khenata Bent Bakkar régna dans l'ombre au 18e siècle. Au Maroc, les épouses de souverains n'ont jamais eu le statut officiel de reine, mais elles l'étaient dans les faits, parfois. Par ailleurs, on peut regretter que les femmes de l'Orient musulman n'aient pu jouer un rôle important que durant des périodes de crise, où les hommes s'avéraient défaillants. Cependant, certaines eurent l'occasion de montrer leur talent à gouverner et même à diriger une armée. Khenata tenait déjà le rôle de ministre de son époux avant son décès. Après, elle gouverna le pays pendant vingt-cinq ans et réussit à le faire sortir d'une situation politique désastreuse. En effet, le Sultan Ismail menait non seulement une guerre permanente contre les tribus réfractaires de l'Atlas mais également contre les conquérants espagnols, anglais et ottomans. Après son décès, le Maroc connaît une grave crise dynastique au cours de laquelle les Abid, des esclaves-soldats noirs, donnent du fil à retordre aux sultans, alors que les tribus guich se soulèvent et font des razzias dans les cités impériales. Les autres tribus profitent de l'anarchie pour entrer en rébellion. Dès lors, Lalla Khenata dirigera le Royaume, petit à petit et dans l'ombre de son fils...
Lalla Khenata et son fils Moulay Abdellah
Le fils de lalla Khnata était réputé faible, il n'a d'ailleurs pas marqué l'histoire du Maroc. On lui reprochait notamment d'être guidé dans ses choix politiques par une femme. Mais les historiens assurent que Lalla Khenata a toujours soutenu son fils dans les périodes de troubles et de crises dynastiques qui ont marqué son règne. Il faut dire qu'elle n'avait pas confiance en ces capacités à diriger le Royaume. En revanche, elle avait foi en la continuité du pouvoir. Elle intervenait donc pour réparer ses erreurs politiques, mais le fils et la mère se méfiaient l'un de l'autre. Une fois, Khenata s'est enfuie pour éviter que son fils ne l'emmène de force dans le Sud du pays. Elle aurait même prétexté un pèlerinage avec son petit-fils pour échapper au terrible sort que son fils aurait projeté : Il aurait en effet voulu l'exécuter... Après le départ de ce dernier, c'est elle qui a assuré la continuité du pouvoir en gouvernant la plaine de la Doukala en son nom.
Les alliances
Khenata devait faire face à une situation politique compliquée. C'est pourquoi elle a tissé des alliances avec les différentes fractions du pouvoir du Royaume de l'époque. Elle s'est appuyée sur le solide corps de l'Armée des Oudayas, issu de sa confédération tribale. Cette alliance n'était pas constante parce que, parfois, les Oudayas désapprouvaient le comportement de Moulay Abdellah. Mais les interventions pertinentes de Khnata lui ont permis de trouver de précieux alliés dans les Oudayas. Elle s'assura également du soutien des soldats Abids, en leur offrant de l'argent et en intervenant auprès du Sultan en leur faveur. En fait, en s'assurant du soutien - même s'il était discontinu - de l'Armée, elle bénéficia d'un puissant appui. Plus étonnant encore, lalla Khenata a tissé des relations de confiance avec une autre fraction du pouvoir, les gens de lettres, qui constituaient la classe des savants, aujourd'hui on dirait les intellectuels. Parce qu'elle était cultivée et qu'elle aimait les lettres, elle a su se faire respecter des lettrés. Elle s'était installée dans la ville de Fès, la cité du savoir du Royaume marocain, et en se rapprochant des lettrés fassis, elle gagna leur sympathie. Ce n'était pourtant pas chose aisée, puisque son fils, Moulay Abdellah, n'était pas populaire à Fès ! Finalement, jamais un souverain, homme ou femme, n'a réussi aussi bien que lalla Khenata à réunifier le Royaume marocain. Son premier mérite a été de s'émanciper des carcans sociaux et moraux de l'époque, qui cloîtraient les femmes dans des rôles domestiques. Mais sa prouesse politique réside dans le fait d'avoir réussi à réconcilier deux forces réputées incompatibles : les lettrés citadins et les soldats bédouins.