Il faut reconnaitre que même s’il s’agit de Marocains, et que les tensions entre Rabat et Alger sont très vives aujourd’hui, il nous paraît injuste de perturber le mode de vie des cultivateurs qui travaillent comme autrefois leurs parcelles de dattiers, et ce depuis des siècles. Rendez aux cultivateurs leur terre, ils ne sont pour rien dans les décisions politiques du Maroc ; l’oasis implique un mode de vie millénaire hérité d’un lointain passé que l'on ne doit pas effacer en quelques jours.
Mode de vie millénaire menacé par les tensions entre Rabat et Alger
Les différends entre Alger et Rabat entraînent des expulsions de cultivateurs marocains de leurs 'terres ancestrales' situées côté algérien, dans l’oasis de Figuig.
Les dernières expulsions coïncident avec un regain de tension autour du Sahara occidental, dossier qui plombe les relations entre Alger et Rabat depuis près d’un demi-siècle. Alger soutient des indépendantistes du Front Polisario, qui demandent l’autonomie de l’ancienne colonie espagnole située au nord de la Mauritanie. Rabat, qui contrôle plus de deux tiers de ce territoire riche en phosphate et en eaux poissonneuses, propose un plan d’autonomie sous sa souveraineté.
'Cette terre, on la cultive de père en fils depuis des générations', dit fièrement Abdelmajid Boudi en montrant les jardins verdoyants de l’oasis de Figuig, vestiges de la grandeur passée de cet ancien carrefour caravanier en plein déclin, à la frontière du Maroc et de l’Algérie. Comme ses ancêtres, ce cultivateur de 62 ans vit de ses dattes avec ses deux parcelles au cœur du 'ksar' de Zenada, un des quartiers fortifiés de l’oasis, aux confins des montagnes de l’Atlas et du désert saharien.
Ici, la pollinisation des fleurs et la récolte des fruits se font comme autrefois, à la main, en grimpant en haut des arbres pour travailler debout, en équilibre sur les palmes des dattiers.
'Notre culture est très attachée à l’agriculture : l’oasis, c’est un mode de vie', assure Abdelmajib Boudi, qui exerce aussi la fonction cruciale de zrayfi (aiguadier), chargé de la répartition de l’eau entre les 'abonnés' via un réseau complexe d’irrigation hérité du passé.
'Les gens d’ici sont liés à leur terre, nos veines sont irriguées par nos racines', assure Rajae Boudi, sa cousine. Comme beaucoup, cette enseignante d’une quarantaine d’années a quitté sa ville natale…
Ces dernières décennies, l’oasis a perdu la moitié de ses habitants. Près du tiers des jardins sont en friche, près de la moitié de ses 2 000 maisons anciennes sont 'dégradées ou en ruines', selon des études universitaires. Mais ceux qui sont partis contribuent à la survie de l’oasis, notamment en investissant dans de nouvelles plantations de palmiers dattiers autour du périmètre historique, comme le souligne Mustapha Lali, un historien élu à la municipalité de Figuig de 1992 à 2016.
'Nous sommes une communauté très soudée', explique Yamina Hakkou, une aubergiste de 58 ans qui aime faire découvrir aux visiteurs les jardins de l’oasis, ses bassins d’eau, son architecture mêlant pierre, terre crue et bois de palmier.
A la saison des grands froids, les hommes portent des burnous de laine tissée à la main. Et tout le monde parle l’amazigh, langue des Berbères. 'On a gardé notre langue, on a résisté à tout', souligne Mohamed Djilali, le président d’une association locale. Surtout, l’oasis millénaire a vu se rétrécir son 'espace vital' composé de petites palmeraies satellites dispersées autour de l’oued qui sert désormais de frontière : les différends diplomatiques entre les deux pays voisins débouchent ponctuellement sur des expulsions de cultivateurs marocains de leurs 'terres ancestrales' situées côté algérien, rappelle Mustapha Lali. Ainsi, la semaine dernière, l’armée algérienne a été déployée pour interdire le passage vers l’oasis d’El Arja, dite 'Laaroda' en Algérie, jusque-là toléré malgré la fermeture de la frontière.