Des insultes gratuites envers les Noirs africains au Maghreb!

Un groupe de musiciens noirs africains de Tunisie
Un groupe de musiciens noirs africains de Tunisie

Les témoignages d'Africains noirs installés depuis des générations au Maghreb et d'étudiants venus d'Afrique subsaharienne, soulignent un triste état de fait, celui du racisme pernicieux qui subsiste au Maghreb. Les Africains blancs excluent de fait leurs confrères noirs de la vie sociale.

Concrètement, les deux communautés ne se mélangent pas - ou peu - et cela ne semble guère s'améliorer avec le temps.

"Le racisme dans mon pays, n'est pas un racisme institutionnel (...). Il est social. Il s'éructe dans les rues, il s'abrite dernière les persiennes, il se fouille dans les regards, il se glousse dans les moqueries.". Ces quelques lignes, extraites du témoignage d'Affet Mosbah ("Etre noire en Tunisie", J.A.I. n° 2270), pourraient avoir été écrites par un Noir algérien ou marocain.

Le racisme maghrébin ne se réclame d'aucune idéologie, si abjecte soit-elle. C'est un racisme sans militants. Il ne se trouve personne pour le revendiquer et encore moins pour l'expliquer.

Pourtant, presque chaque Maghrébin y a un jour cédé, même sans le vouloir, tellement il imprègne le langage, en se glissant derrière les mots les plus ordinaires du dialecte.

Des insultes gratuites

Denis, étudiant originaire d'un pays d'Afrique centrale, est arrivé il y a quelques mois en Tunisie. Il raconte : "Moi et mes congénères vivons l'humiliation dès que nous sortons dans la rue. On se fait traiter de kahlouche ("négrillon"), gratuitement. Ce qui m'étonne, c'est l'absence de réactions des gens dans le bus ou dans le train, quand on se fait insulter par des enfants. Les parents ne semblent éprouver aucune gêne quand ils voient leur progéniture nous balancer des noms d'oiseaux. Cela me déçoit et ne correspond pas à l'idée que je me faisais du Maghreb."

Les Noirs, dans les pays du Maghreb, font souvent l'objet de réactions instinctives, qui vont de la moquerie blessante à la franche hostilité.

"Les Tunisiens (c'est vrai aussi des Algériens ou des Marocains, NDLR) sont bourrés de préjugés, explique Moïse, un étudiant mozambicain qui vit à Tunis depuis trois ans. A part le football, ils ne connaissent rien de l'Afrique noire. Ils disent qu'ils sont ouverts, mais en réalité ils ne sont ouverts que sur l'Europe. Le racisme touche toutes les couches de la société, pas seulement les classes populaires. Les seules personnes qui auront spontanément un comportement acceptable avec nous, ce sont les Maghrébins qui ont voyagé, qui ont vécu à l'étranger. Ils sont plus ouverts sur le monde et plus enclins à remettre en cause les préjugés de leur éducation."

Car le Noir, dans l'imaginaire collectif, renvoie confusément à celui qui se trouve en bas de l'échelle et avec qui on peut tout se permettre. Cette vision dévalorisante s'est formée au contact des esclaves, dont descendent la plupart des communautés noires autochtones du Maghreb. Les ressortissants des pays d'Afrique subsaharienne n'en souffrent que par ricochet.

Les Noirs du Maghreb, des musulmans qui parlent arabe dialectal ou berbère, sont environ 50 000 en Tunisie, certainement plus en Algérie et plus encore au Maroc. Citoyens à part entière, ils éprouvent pourtant des difficultés à se mélanger avec les composantes arabes et berbères des pays où ils sont nés. Ils vivent entre eux et se marient entre eux. Quand ils parviennent à se marier...

Femmes noires africaines et tunisiennes
Femmes noires africaines et tunisiennes

Inès Mrad Dali, doctorante en anthropologie, a étudié le cas de quelques communautés du Sud tunisien. Elle est arrivée à des conclusions surprenantes et inquiétantes en ce qui concerne la vie sociale des femmes noires.

Les premières personnes à faire les frais de l'exclusion sont les femmes

Il y a vingt ans, les alliances entre hommes noirs et femmes blanches étaient presque inexistantes, mais des mariages pouvaient être contractés dans l'autre sens, entre femmes noires et hommes blancs: "Les pratiques matrimoniales ont beaucoup évolué en une génération. Aujourd'hui, quand ils le peuvent, c'est-à-dire quand ils ont un emploi stable et un minimum d'argent, la plupart des hommes noirs épousent des femmes blanches. Epouser une Blanche est à la fois un gage de réussite sociale et un moyen de garantir un meilleur avenir à ses enfants, qui souffriront moins de la stigmatisation.

En revanche, les femmes noires éduquées, celles qui sont parvenues, elles aussi, à un certain niveau social, comme par exemple les infirmières ou les secrétaires médicales, éprouvent les pires difficultés à se marier. Elles sont désormais rejetées des deux côtés : par les hommes blancs, ou plutôt par les mères blanches, sans le consentement desquelles en Tunisie le mariage n'est pas possible, et maintenant par les hommes noirs et de même niveau qu'elles, qui leur préfèrent les femmes blanches."

Beaucoup se retrouvent donc contraintes au célibat, ce qui revient, au Maghreb, à une certaine forme de mort sociale... Mais oser évoquer ce tabou est peut-être un premier pas vers une évolution positive. Espérons-le du moins.

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Mis en ligne : Dimanche 2 Juillet 2006
 
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