Des journalistes du quotidien algérien Liberté, ont recueilli les témoignages de deux jeunes filles prostituées à Constantine (Est de l'Algérie). On les appelle Leila et Amel, elles sont âgées respectivement de 17 et 19 ans. Elles témoignent de leurs souffrances, impuissantes et seules face à leur triste sort. Un témoignage émouvant, au-delà des préjugés…
Les journalistes rencontrent les deux jeunes filles au coin de la rue d'un grand hôtel. Leila, 17 ans, jolie brune aux yeux noisette, est la première à se confesser. Comment en est-elle arrivée à faire le trottoir ? Sa famille, l'école, l'Etat... Tous selon elle, poussent à leur façon des jeunes filles désemparées à se prostituer. Elle, une ancienne élève studieuse, jamais elle n'aurait pensé faire le trottoir un jour ! Leila a quitté le domicile familial à l'âge de 17 ans. Elle raconte qu'après avoir commis la "faute" d'avoir eu des relations sexuelles hors mariage, elle a préféré fuir sa famille plutôt que d'affronter sa colère. Parce que dans les familles conservatrices, c'est un déshonneur pire que la mort que de coucher hors mariage. Dès lors, elle va connaître une véritable descente aux enfers. Elle tombe enceinte et accouche seule, sous X dans un hôpital de Tizi-Ouzou. Elle abandonne ensuite son enfant à l'assistance publique. Elle avouera d'ailleurs en éprouver des remords : "Qui peut abandonner son enfant et prétendre qu'il ne regrette rien ? Personne !"
Déboussolée et sans diplôme, elle tombe rapidement dans l'engrenage de la prostitution. "Parfois, je me mets à détester ma famille. Elle ne m'a pas aidée quand j'ai eu besoin d'elle". Elle poursuit : "Les parents ont tendance à croire que les enfants sont leur propriété et qu'ils seront toujours dépendants d'eux : Certains parents poussent leurs filles à se prostituer. Une fille soumise à un mariage forcé sera malheureuse si elle accepte ce mariage. Si elle le refuse, elle subira l'indignation et la colère de sa famille. Quelle autre solution a-t-elle, si ce n'est de fuir ?".
Si au départ Leila se méfiait des journalistes, elle apparaît soudain fragile et démunie... "Mettre ses émotions entre parenthèses permet aux prostituées d'affronter leur enfer quotidien. C'est peut-être à cause de la carapace qu'elles se sont construite, que certains pensent qu'elles n'ont pas de dignité. Or elles sont comme nous, sauf qu'elles n'ont pas eu assez de choix dans leur vie" écrira Kamel B., journaliste.
Amel 19 ans, n'a pas envie de témoigner de sa vie, ni de son vécu. Non pas par crainte de donner une mauvaise image d'elle-même "On est assez cataloguées, à quoi bon essayer de changer l'opinion des gens à notre sujet ?" mais parce qu'elle n'est pas à l'aise avec ce sujet, encore tabou. Résignée, elle lâche en sanglotant : "Je ne veux plus faire le tapin, je veux m'en sortir. Je ne veux plus me demander où je vais dormir ce soir, ni qui je vais rencontrer et est-ce qu'il me battra à son tour.". Une fois l'entretien fini, les deux jeunes filles repartent, le regard dans le vague, affronter la jungle du trottoir pour survivre...