La socialisation séparée

Plusieurs générations de femmes
Plusieurs générations de femmes

Nous entendons par "socialisation séparée" le fait de séparer les genres (hommes/femmes) dans la vie quotidienne. Dans le sujet que nous allons aborder, il s'agit de la vie sociale menée exclusivement entre femmes, vivant en milieu rural au Maroc. Pour ne rien vous cacher, nous avons une nette préférence pour la mixité  des genres, du moins lorsqu'elle est consentie et non pas imposée, car nous ne voudrions pas, en tant que femmes, nous coltiner des misogynes au quotidien non plus !

Cette parenthèse humoristique refermée, nous pensons donc que la mixité des genres est bénéfique dans la vie sociale, mais pour autant, nous ne rejetons pas d'emblée une opinion différente de la nôtre lorsqu'elle semble intéressante. En l'occurrence, nous nous sommes intéressées à la théorie d'une anthropologue américaine, Susan Schaefer Davis. Selon cette dernière, les adolescentes marocaines qu'elle a observées en milieu rural avaient plus confiance en elles et étaient plus à l'aise avec leur féminité que les adolescentes aux Etats-Unis. Pour appuyer cette thèse, S. Davis cite une étude de la psychologue Carol Gilligan, qui a relevé que les adolescentes américaines issues de classes moyennes ou aisées, perdaient leurs repères après l'âge de 12 ans environ, et qu'il leur arrivait non seulement de perdre leur confiance en elles mais aussi la parole dans certains cas (elles s'enferment dans le silence). Alors que ce problème n'existait pas dans les groupes d'adolescentes marocaines que Susan Schaefer Davis a observés.

Dès lors, S. Davis estime que les jeunes américaines auraient des choses à apprendre de leurs consœurs marocaines. Les raisons du développement de la confiance en elles-mêmes des adolescentes marocaines du milieu rural pourraient s'expliquer par le fait que les filles grandissent entre elles. Jeunes, elles s'identifient à leurs aînées et trouvent donc facilement un modèle de féminité à suivre. Elles côtoient des femmes d'âges différents, et de ce fait, peuvent à la fois s'identifier aux jeunes femmes de leur âge lorsqu'elles sont adolescentes (c'est le fameux besoin de regroupement que ressentent la plupart des ados) et se former auprès des femmes plus âgées à un métier ou à leur rôle d'épouse et de mère. Ainsi, Susan Schaefer Davis relève-t-elle que les femmes, y compris les jeunes filles, redent visite chaque été à des proches dans différentes régions du pays et s'échangent des informations. Aujourd'hui, on parlerait de réseau social élargi ! Lors de ces visites en effet, les femmes discutent à propos de leurs choix matrimoniaux, du mode de résolution des conflits, des soins des enfants et tout autre sujet lié aux préoccupations féminines. De cette façon, elles bénéficient d'un "fond commun d'expériences" pour reprendre l'expression de Susan Schaefer Davis, dont elles peuvent s'inspirer ou pas. Nous ajouterons que la solidarité entre ces femmes leur donne davantage confiance en elles, dans la mesure où elles savent qu'elles pourront compter l'une sur l'autre en cas de problème. De cette façon, elles ne sentent pas isolées et leurs rôles (de femme, de mère) peuvent être perçus comme davantage gratifiants que comme une source d'inquiétudes ou d'anxiété. Tandis que, selon S. Davis toujours, la femme américaine doit souvent se débrouiller seule pour résoudre ses problèmes féminins, la femme marocaine a accès à un enseignement concret, à travers les femmes qu'elle observe ou qui la conseillent.

Dans la conception des femmes marocaines que nous évoquions, hommes et femmes ont des identités différentes et des modes de pensées différents. Dès lors, si elles trouvent normal de recevoir les mêmes salaires que les hommes pour des travaux équivalents, elles ne pensent pas qu'il faille utiliser les mêmes moyens que les hommes pour parvenir à cette fin. En Algérie, Makilam, qui a étudié le mode de vie de berbères de Kabylie, a déduit de ses observations que la séparation des genres n'entraînait pas forcément des rapports de force entre les hommes et les femmes. Ce mode d'organisation permet simplement de séparer les tâches en fonction des possibilités de chacun d'une part, et de transmettre des savoirs de mère en fille d'autre part. Figure incontournable de cette société, l'Aînée ou la Vieille, est un référent pour toutes les femmes. La femme âgée du clan est celle qui a l'expérience de la vie et qui a reçu l'enseignement de ces ancêtres, c'est pourquoi elle fait figure de consultante et de conseillère fiable pour les affaires familiales.

Les inconvénients du mode de vie rural n'étant nullement remis en cause, il s'agit uniquement ici de souligner les aspects positifs de la socialisation séparée des jeunes femmes. Comme l'expliquait S. Davis, il y a sûrement un enseignement utile à tirer de ces observations, notamment pour le développement économique de certains pays. Les femmes pourraient allier leurs talents pour créer des entreprises communes, l'enseignement et les formations pourraient être mieux adaptés aux femmes. Ainsi, C. Gilligan a-t-elle relevé que le matériel pédagogique des lycées américains était plus adapté aux garçons qu'aux filles. Même si les femmes ont l'intelligence nécessaire pour suivre un enseignement qui ne leur est pas adapté, elles ne peuvent finalement pas s'en servir dans leur vie de tous les jours... Ce sujet mériterait certainement d'être approfondi par ailleurs.

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Mis en ligne : Lundi 15 Juin 2009
 
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