60 ans de rock et heavy metal en Syrie: les années 1960-1990
Ceci est le témoignage de musiciens syriens, à savoir Hannibal Saad et Ara Souvalian, qui ont fondé, l'un et l'autre, des groupes de rock alternatif dans leur pays, la Syrie, et aux USA.
"J'ai grandi dans les années 80, à une époque où des groupes comme Pink Floyd, les Scorpions et Deep Purple fleurissaient en Syrie. La Syrie sortait tout juste d'une courte période de troubles civils qui avaient paralysé presque complètement la vie culturelle entre 1979 et 1986, lorsque a germé dans mon esprit, l'idée de créer mon groupe de rock. En 1986, j'étais sur le point d'entrer à l'université à Damas et je passais mes journées dans des boutiques comme Haro ou Dawn, des petits magasins qui vendaient des cassettes de rock et de jazz.
J'ai alors commencé à chercher les membres de mon futur groupe, en passionné de musique rock, que j’étais. Je ne savais pas que la Syrie avait déjà à ce stade une scène rock. Je ne connaissais que les deux célèbres groupes de rock syrien Rockestra et Invaders, que je pensais être alors les seuls qui avaient existé avant nous. Après que j'aie fondé mon premier groupe et que j'aie fait mes premiers concerts, les gens nous ont raconté des histoires incroyables sur les groupes de rock en Syrie qui ont existé dès les années 60. Lorsque j'ai découvert l'existence de groupes syriens, j'ai cherché à en savoir plus, et j'ai appris des choses assez incroyables.
Parmi les rencontres qui m'ont marquées, il y a celle avec Hani (un traducteur) qui passait beaucoup de temps à traduire les paroles de chansons de groupes de rock connus internationaux. J'ai rencontré plusieurs personnes fascinantes. Je regrette ces acteurs de l'ancien temps du rock syrien, qui bien qu'utilisant des moyens moins modernes qu'aujourd'hui, avaient finalement plus de détermination.
Les années 60 et 70: les débuts!
La scène musicale rock en Syrie existe depuis le début des années 1960 et ne peut être décrite que comme une scène très vibrante, dense et énergique. Tout comme pour de nombreux autres genres musicaux qui ont conquis les Syriens, les magasins de musique ont joué un rôle important à ses débuts.
Il y avait deux magasins de disques connus à Damas déjà dans les années 60 c’était: Sardarian et Shaheen. Des boutiques de cassettes comme Haro et Dawn ont ouvert à Damas dans les années 70. Le magasin de cassettes de Mazen Laham, Dawn, est toujours ouvert et vend encore des cassettes. Visiter sa boutique vous ramènera des décennies en arrière dans le temps.
Donc, d'une certaine manière, l'engouement pour la musique rock a commencé avec des gens qui vendaient des cassettes de ce genre musical enregistrées au début des années 60, puis des groupes ont commencé à se former. Parmi les premiers groupes se trouvaient The Cats et Tigers sous la direction du batteur Johnny Komovich et du claviériste Vahe Demirjian.
Une dizaine de groupes de rock jouaient continuellement de la musique à Damas de 1970 à 1980 lorsque les troubles ont commencé en Syrie. La plupart d'entre eux étaient des groupes qui faisaient uniquement des reprises de chansons de Pink Floyd, Uriah Heep, Deep Purple, Beatles ou King Crimson, etc.: c’est par exemple le cas de The Underground band.
Les groupes de rock qui cherchaient à jouer dans des espaces publics adaptaient leur musique au cadre dans lequel ils jouaient: ils modulaient le style musical afin de coller aux attentes du public. Les groupes de rock, à l'époque, portaient des uniformes.
Parmi ces groupes, on peut citer les Tigers, Fireball (du nom d'un album de Deep Purple), les Spiders, les Magic Fingers, les Black Eagles, les Pastors.
Cependant, les temps étaient difficiles pour les musiciens de rock de cette époque-là, surtout lorsque le pays a connu un regain de tensions politiques à la fin des années 70. Les troubles civils ont affecté énormément la vie quotidienne.
De 1979 à 1986, la vie culturelle s'est presque complètement éteinte. Le nombre de clubs, de restaurants et d’hôtels qui proposaient de la musique occidentale aux familles qui venaient assister aux concerts, a diminué! Pour des questions de sécurité liées à la guerre, les activités de concert se sont en effet arrêtées car il n'était plus possible d'assurer la sécurité du public. La raréfaction des concerts a entraîné la disparition de nombreux groupes! A cette époque, des groupes éphémères se formaient le temps d'un concert.
Lorsque les choses sont rentrées dans l’ordre en Syrie, le monde entier et la scène musicale locale avaient radicalement changé. Même la musique rock avait changé et seuls quelques groupes comme les Tigers avaient survécu.
Les glorieuses années 80
Après cette période de désert culturel, le public a pu découvrir le groupe Rockestra, dont les leaders sont le chanteur Talal Karkutli et le guitariste Bassel. Plébiscités par une grande base de fans, ils ont pu effectuer plusieurs passages à la télévision, ce qui a accru leur notoriété.
Puis un autre groupe a suivi, appelé The Invaders. Fondé par le chanteur Bassel Haj Youssef, le guitariste Mazen Arafat, le batteur Rafi Markarian et d'autres, le groupe était principalement connu à Damas, où il a donné plusieurs concerts.
De nombreux autres groupes, fondés à cette époque, se sont dissous peu de temps après leurs premiers concerts, tels que White Lead et Prism. Dans le même temps, plusieurs espaces publics sont devenus des scènes importantes pour les musiciens de rock, tels que les Centres culturels russe et français, l'Institut allemand Goethe, ainsi que les théâtres Zahra et Hamra.
Le groupe The Journey
En 1987, j'ai formé un groupe de rock, appelé The Journey, avec le chanteur Bassel Haj Youssef! Ce fut comme réaliser un rêve car je l'appréciais énormément lorsque j'étais au lycée.
Mais laissez-moi également vous présenter les autres membres de notre groupe: il y avait le guitariste Monzer Kebbeh, le claviériste Ammar Alani (alias Hannibal Saad, et auteur de cet historique musical) le batteur Kinan Berouti, le bassiste Bassel Khalil (voir son groupe).
Au cours des 6 premières années, nous avons fait plus de 35 concerts et sommes également apparus dans plusieurs émissions de télévision. C'était à une époque où de plus en plus de groupes se faisaient connaître auprès du public.
Nous avons organisé un concert dans un pub très branché de Damas, le Marmar, qui allait devenir le lieu incontournable du rock dans les années 80. Alors quand j'ai émigré aux États-Unis en 1993, nous avons décidé de renommer The Journey, Marmar.
Les années 90 et la naissance du Heavy Metal en Syrie
Au début des années 90, il y avait plus de 15 groupes de rock à Alep et Damas avec un public établi qui jouait du rock progressif. Plus important encore, le Heavy Metal était entré dans la danse. Des groupes comme Bloody Heaven ont commencé leur carrière musicale à la fin des années 1980, suivis par Krokers, Sudden Death et le groupe Urgent. De plus, un groupe merveilleux appelé Nameless a été fondé par les talentueux guitaristes que sont Akram Maksoud, Ibrahim Soulaymani et leurs amis.
Kulna Sawa
En 1995, Kulna Sawa a été fondé, un groupe qui allait devenir l'un des groupes les plus réussis de la scène syrienne arabophone. Le groupe (dont le nom signifie "nous tous ensemble") a commencé par réarranger plusieurs chansons traditionnelles du folklore syrien, mais a également composé ses propres chansons par la suite. Son dévouement à la langue arabe a été la clé de son succès! C’est l’effort de son leader Iyad Rimawi qui a convaincu le groupe de s'en tenir à sa langue maternelle qui a été payant. Rimawi est devenu un auteur-compositeur à succès à Damas pour des séries télévisées et des films. Ses chansons sont bien connues dans le monde arabe.
À partir du milieu des années 90, de plus en plus de groupes de Heavy Metal ont fait leur apparition, inspirés par des groupes comme Metallica aux Etats-Unis et Iron Maiden du Royaume-Uni.".